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12 septembre 2024
Plusieurs arrêts du 4 septembre de la Cour de cassation donnent des illustrations sur les manquements de l'employeur ouvrant droit ou non à réparation automatique pour le salarié. L'occasion de faire un récapitulatif général sur le sujet.

Les décisions du 4 septembre 2024 sur l'exigence ou non d'un préjudice

Contexte 

Depuis  l'arrêt du 13 avril 2016, le principe est que « l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.293) . Ce qui se traduit, en cas de manquement d'une obligation par l'employeur, par le fait que ce manquement n'ouvre pas droit automatiquement à réparation pour le salarié ; cette réparation est subordonnée à la preuve d'un préjudice. 

Toutefois, a côté de ce principe réaffirmé par une jurisprudence constante, la Cour de cassation admet des exceptions et reconnaît que pour certains manquements de l'employeur, leur seule constatation ouvre droit à réparation. Il s'agit, selon l'avis de l'avocate générale :

  • soit de situations où l'indemnisation du manquement de l'employeur est requise expressément par un texte légal . Tel est le cas, par exemple,  de la perte injustifiée de l'emploi dont l'indemnisation est prévue expressément par l'article L.1235-1 du code du travail ;
  • soit de situations où le manquement concerne une violation d'une disposition européenne ou internationale et où il incombe aux juges nationaux d'en assurer l'effectivité en ne laissant pas sans sanction ou réparation l'atteinte portée aux droits garantis par cette disposition. Tel est le cas par exemple de l'obligation de mise en place des élections des IRP ou de respect des durées maximales de travail ou des durées minimales de repos.

Remarque

dans  ces situations, le préjudice est intrinsèque au manquement et ouvre droit ainsi à des dommages-intérêts automatiquement (ce qui est appelé aussi « préjudice nécessaire » ). La notion de « préjudice nécessaire »  pourrait induire en erreur et laisser penser littéralement qu'un préjudice est nécessaire pour qu'il soit réparé. Il s'agit en réalité d'une contraction de l'expression « préjudice nécessairement causé » . Il serait plus opportun de parler de « préjudice intrinsèque » ou de « réparation automatique » lorsque le manquement de l'employeur ouvre droit automatiquement à réparation car implique un préjudice pour le salarié sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence de ce préjudice

La Cour de cassation, dans des arrêts du 4 septembre 2024 vient d'illustrer cette distinction et ainsi de préciser la liste des manquements de l'employeur ouvrant droit à réparation automatique sans que le salarié ait à justifier d'un préjudice.  

Le non-respect du temps de pause quotidien : droit à une réparation automatique (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°23-15.944)

Dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de 20 minutes (C. trav., art. L. 3121-16) . En cas de manquement de l'employeur à son obligation de faire respecter cette pause quotidienne légale, le salarié a t'il droit à réparation automatiquement ?

La Cour d'appel avait débouté une salariée de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect du temps de pause au motif qu'elle ne justifiait d'aucun préjudice dans la mesure où elle ne s'était jamais plainte tout au long de la relation contractuelle de ne pas avoir bénéficié de sa pause de 20 minutes le lundi et que toutes les heures de travail avaient été payées.

La Cour de cassation n 'est pas de cet avis : « le seul constat du non-respect du temps de pause quotidien ouvre droit à réparation » . Pour cette décision, elle fait référence à l'article L. 3121-16 précité (L. 3121-33 au moment des faits) interprété à la lumière de l'article 4 de la directive européenne n°2003/88/CE du 4 novembre 2003.

Le manquement à l'interdiction de faire travailler un salarié pendant son arrêt maladie : droit à une réparation automatique (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°23-15.944)

En l'espèce, une salariée a dû venir travailler 3 fois pendant son arrêt maladie pour accomplir, ponctuellement et sur une durée limitée, une tâche professionnelle. Elle demande réparation de ce manquement. La cour d'appel la déboute au motif qu'elle n'allègue et ne démontre aucun préjudice spécifique. 

La Cour de cassation n'est pas de cet avis : « le seul constat du manquement de l'employeur en ce qu'il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation » . 

Elle se fonde sur les articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-4 du code du travail interprétés à la lumière des articles 5 et 6 de la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989. il résulte de ces textes que l'employeur tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Lorsqu'il confie des tâches à un travailleur, l'employeur doit prendre en considération les capacités de ce travailleur en matière de sécurité et de santé (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°23-15.944).

Le manquement à l'interdiction de faire travailler une salariée pendant son congé maternité : droit à réparation automatique (Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-16.129)

En l'espèce, une salariée a demandé le paiement de dommages-intérêts pour violation de l’obligation en matière de sécurité et de santé au travail en raison de la fourniture d’un travail pendant son congé maternité.

Elle est tout d'abord déboutée par la cour d’appel au motif qu’elle ne justifie d’aucun préjudice.

Mais la Cour de cassation n’est pas de cet avis : le seul constat du manquement de l'employeur à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité, ouvre droit à réparation pour la salariée.

Elle s’appuie sur les articles L. 1225-17, L. 1225-29 interprétés à la lumière de l’article 8 de la directive n° 92/85/CEE du 19 octobre 1992

Il résulte de ces articles que :

- toute salariée bénéficie d'un congé de maternité pendant une période qui commence six semaines avant la date présumée de l'accouchement et se termine dix semaines après la date de celui-ci (C. trav., art. L. 1225-17) ;

- il est interdit d'employer une salariée pendant une période de huit semaines au total avant et après son accouchement, ainsi que dans les six semaines qui suivent son accouchement (C. trav., art. L. 1225-29).

Voir aussi l'article publié le 5 septembre. 

L'absence de visite de reprise : nécessité de prouver le préjudice  (Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-23.648) (Cass.  soc., 4 juill. 2024, n°22-16.129)

Dans deux arrêts du 4 septembre, la Cour de cassation a confirmé que l'absence pour l'employeur d'organiser une visite de reprise dans les situations prévues par le code du travail n'ouvrait pas droit à réparation pour le salarié si aucun préjudice n'est justifié :

  • dans le premier arrêt (Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-23.648), le salarié avait eu une visite de reprise 6 ans après son classement en invalidité 2eme catégorie. Il a demandé des dommages-intérêts pour le manquement par l’employeur de son obligation de le convoquer le salarié dès la déclaration d’invalidité. Il a été débouté par la Cour de cassation : le fait de ne pas organiser une visite de reprise dès le classement en invalidité 2eme catégorie du salarié ne suffit pas à fonder une demande de dommages-intérêts. Le salarié doit justifier l’existence d’un préjudice né du retard dans la constatation de l’inaptitude ;
  • dans un deuxième arrêt (Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-16.129), une salariée n'avait pas bénéficié de visite de reprise au retour de son congé de maternité et a demandé réparation. Elle a été  déboutée car elle ne justifiait d'aucun préjudice .

 Il s'agit d'une jurisprudence constante qui a été déjà rendue concernant la visite de reprise (Cass. soc., 30 sept. 2020, n°19-15.922) et la visite d'embauche ( Cass. soc., 27 juin 2018, n°17-15.438).

Tableau récapitulatif 

Nous vous présentons un tableau récapitulatif distinguant les manquements ouvrant droit à réparation automatique des manquements nécessitant la preuve de l'existence d'un préjudice.

Manquements de l'employeur

Réparation automatique

Preuve d'un préjudice

Solution de la Cour de cassation

Durée du travail

Dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire 

X

« Le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail  ouvre droit à réparation »  (Cass. soc., 26 janv. 2022,  n° 20-21.636)

Dépassement de la durée maximale de travail journalière

X

« Le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à réparation » (Cass ; soc., 11 mai 2023, n°21-22.281)

Non-respect du temps de repos quotidien

X

« le seul constat que le salarié n'a pas bénéficié du repos journalier de 12 heures entre deux services ouvre droit à réparation (Cass. soc., 7 févr. 2024, n°21-22.994) : voir article publié 

Non-respect du temps de pause quotidien 

X

« Le seul constat du non-respect du temps de pause quotidien ouvre droit à réparation » (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°23-15.944). il s'agit d'un revirement de jurisprudence (Cass. soc., 19 mai 2021, n°20-14.730). 

Sécurité et santé au travail

Faire travailler un salarié pendant son arrêt maladie

X

Le seul constat du manquement de l'employeur en ce qu'il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°23-15.944)

Faire travailler une salariée pendant son congé de maternité

X

Le seul constat du manquement de l'employeur à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité, ouvre droit à réparation pour la salariée (Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-16.129) : voir article publié le 5 septembre

Absence ou retard d'organisation d’une visite de reprise 

X

  • En cas de non-respect par l'employeur de l'obligation de soumettre le salarié à une visite de reprise dès la décision de classement en invalidité de deuxième catégorie, il appartient au salarié de démontrer l'existence d'un préjudice (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°22-23.648).

  • Il en est de même en cas de non-respect par l'employeur de l'obligation de faire bénéficier une salariée d'une visite de reprise à l'issue de son congé de maternité (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°22-16.129)

  • Confirmation d'une jurisprudence (Cass. soc., 30 sept 2020, n°19-15.922) 

Absence d'organisation d’une visite d'embauche 

X

« L''existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond » .  Le fait que le salarié n'ait pas bénéficié d'une visite médicale d'embauche n'ouvre pas droit à indemnisation car il ne justifie pas du préjudice qui en serait résulté pour lui  (Cass. soc. , 27 juin 2018, n°17-15.438).

Absence de délivrance de l'attestation d'exposition à l'amiante et de l'attestation d'exposition aux produits cancérogènes CMR

X

  • L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

  • La non remise par l'employeur de  l'attestation d'exposition à l'amiante et de l'attestation d'exposition aux produits cancérogènes CMR nécessite, pour ouvrir droit à des dommages-intérêts que les salariés justifient du préjudice qui en était résulté pour eux (Cass. soc., 4 sept. 2024, n°22-20.917 ) : voir article publié le 11 septembre 

Méconnaissance par l'employeur des préconisations du médecin du travail

X

L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. La cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain, a constaté que le salarié se bornait à une déclaration de principe d'ordre général sans caractériser l'existence d'un préjudice dont il aurait personnellement souffert. Le salarié est débouté de demande de dommages-intérêts pour méconnaissance par l'employeur des préconisations du médecin du travail (Cass. soc., 9 déc. 2020, n°19-13.470). 

Autres

Perte injustifiée de l'emploi du salarié

X

« Il résulte de l'article L. 1235-5 du code du travail que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue » (Cass. soc., 13 sept. 2017, n°16-13.578. ).

Absence de mise en place des institutions représentatives du personnel

X

« L'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts » (Cass. soc., 28 juin 2023, n°22-11.699). (Cass ; soc., 17 oct. 2018, n°17-14.392)

Atteinte à l'intimité de la vie privée du salarié

X

La seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation. En l'espèce il y avait eu atteinte à la vie privée par la production dans le cadre d'un litige d'un message adressée à une autre salariée sur le réseau Facebook non indispensable à l'exercice du droit à la preuve (Cass. soc., 12 nov.  2020, n°19-20.583)

Défaut de remise des documents de fin de contrat 

X

« L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. La cour d'appel, ayant constaté que le salarié n'avait subi aucun préjudice résultant du défaut de délivrance des documents de fin de contrat » , le salarié est débouté de sa demande de dommages-intérêts (Cass. soc., 14 sept. 2016, n°15-21.794)

Défaut d'information sur la convention collective applicable 

X

L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond . La cour d'appel, a relevé que la salariée, qui occupait un poste de cadre administratif et détenait la moitié du capital social de la société employeur, était en mesure de connaître la convention collective applicable et d'en vérifier l'application et qu'elle ne démontrait pas l'existence d'un préjudice  (Cass. soc., 17 mai 2016, n°14-21.872)

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Nathalie LEBRETON
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