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17 février 2022
Le caractère suffisant ou non du plan de sauvegarde de l'emploi d’une succursale française en liquidation judiciaire s'apprécie au regard des moyens de l'entreprise étrangère à laquelle elle appartient.
Liquidation d’une succursale française : l’entreprise étrangère ne peut pas fuir ses responsabilités
©iStock

L’affaire jugée par le tribunal administratif de Montreuil le 27 décembre 2021, qui concernait la liquidation de la succursale française d’un groupe de dimension européenne, a fait grand bruit dans la presse. Elle témoigne en effet du cynisme de certains employeurs dans la mise en oeuvre d’un licenciement collectif pour motif économique.

La liquidation d’une succursale française

L’affaire concernait les salariés de la succursale française d’une société de droit irlandais, elle-même filiale d’une compagnie aérienne « low cost » dont la maison mère est basée en Norvège. L’entreprise irlandaise, victime de la crise du transport aérien provoquée par l’épidémie de Covid-19, a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en mars 2021.

La succursale française a elle-même été placée en liquidation judiciaire en mai 2021. Le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) a homologué le document unilatéral du liquidateur portant plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), qui prévoyait la suppression des 271 emplois de la succursale.

Un syndicat a saisi le juge administratif d’une demande d’annulation de cette décision, en soutenant que les mesures prévues par le PSE étaient insuffisantes.

A noter :

L’affaire a notamment suscité l’indignation en raison du montant des aides publiques perçues par l’entreprise au titre de l’activité partielle, qui s’élèvent à plusieurs millions d’euros. Surtout, l’entreprise irlandaise, une fois sa liquidation prononcée, a tout simplement cessé, sans explication ni même information, de payer les salariés de la succursale française, sans engager de procédure de licenciement ni la procédure collective. Les salariés se sont trouvés sans ressources et, dans un premier temps, sans droit ni aux prestations de l’assurance chômage ni à la garantie de l’assurance des créances des salaires (AGS), alors même que la société mère annonçait, dès mars 2021, la création d’une nouvelle compagnie aérienne basée à Oslo, sur le même modèle que celle qu’ils venaient de liquider. Une situation qui a incité les salariés français à manifester devant l’ambassade de Norvège à Paris.

Un PSE ne prévoyant aucune mesure spécifique d’accompagnement

Le plan de sauvegarde de l’emploi mis en oeuvre par le liquidateur judiciaire était particulièrement frugal.

Dans la mesure où l’entreprise et sa succursale faisaient l’objet d’une liquidation judiciaire, les juges confirment qu’aucune mesure de reclassement interne n’était envisageable.

Mais ils relèvent que le PSE, loin de prévoir des mesures d’accompagnement des salariés, se contentait de faire état des dispositifs publics ouverts à tout salarié licencié pour motif économique, tels que le contrat de sécurisation professionnelle ou des aides publiques à la création d’entreprise.

En outre, le financement des indemnités de rupture et des aides au reclassement mentionnées ci-dessus était exclusivement assuré par des organismes français, tels que l’association pour la gestion du régime d’assurance des créances des salaires (AGS), Pôle emploi ou l’organisme paritaire collecteur agréé (Opco).

Ni l’entreprise irlandaise, ni la maison mère norvégienne n’ont donc contribué au financement du PSE. Les juges relèvent en l’espèce que, conformément aux dispositions de l’article L 1233-8, II du Code du travail, le liquidateur de la succursale française a interrogé les liquidateurs de l’entreprise irlandaise sur ses possibilités de financement des mesures du PSE, sans que ceux-ci ne lui apportent de réponse explicite.

Pas d’homologation sans éléments d’information sur les finances de l’entreprise

Hors redressement ou liquidation judiciaire, l’article L 1233-57-1 du Code du travail prévoit que le Dreets saisi d’une demande d’homologation du document unilatéral de l’employeur apprécie le caractère suffisant du PSE en fonction de plusieurs critères, au premier rang desquels les moyens de l'entreprise, de l'UES ou du groupe. Pour le juge administratif, les moyens visés par le Code du travail sont notamment financiers (CE 7-2-2018 n° 397900).

Dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, par dérogation, l’administration homologue le PSE après s’être assurée de sa conformité aux dispositions du Code du travail « au regard des moyens dont dispose l’entreprise » (C. trav. art. L 233-58, II). En l’espèce, le tribunal administratif considère que le Dreets ne pouvait pas homologuer le document unilatéral portant PSE de la succursale française, faute d’avoir eu accès à des informations suffisamment précises sur la situation financière de l’entreprise irlandaise.

Le tribunal administratif relève en effet que le Dreets avait été destinataire :

  • d’une « note économique » transmise au comité social et économique (CSE) de la succursale faisant état des pertes subies par la compagnie en 2019 et 2020, mais ne contenant aucune indication sur sa situation financière ;
  • d’un extrait du compte de liquidation de la succursale française, annexé au document unilatéral, indiquant que la trésorerie de cette dernière était nulle, cette circonstance ne renseignant pas sur l’état des actifs et de la trésorerie de l’entreprise irlandaise.

En conséquence, pour le juge administratif, le Dreets ne disposait pas des informations suffisantes pour lui permettre de contrôler la proportionnalité des mesures du PSE aux moyens de l’entreprise. La décision d’homologation doit donc être annulée.

A noter :

Les salariés de la succursale française doivent désormais saisir le juge prud’homal pour obtenir réparation de leur préjudice. L’entreprise ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, les dispositions de l’article L 1235-10, alinéa 3 du Code du travail qui prévoient la nullité de la procédure de licenciement ne sont pas applicables. Le licenciement des intéressés n’est pas privé de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 25-3-2020 n° 18-23.692 FS-PB), mais ils peuvent prétendre à une indemnité d’au moins 6 mois de salaire en réparation de leur préjudice (C. trav. art. L 1233-58, II).

Documents et liens associés

TA Montreuil 27-12-2021 n° 2113571, Union des navigants de l’aviation civile CFE-CGC

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Laurence MECHIN
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