L’Organisation internationale du travail (OIT) a été saisie le 31 janvier 2017 par les syndicats CGT et FO d’une réclamation portant sur la conformité du dispositif de l’accord de préservation ou de développement de l’emploi (APDE), devenu accord de performance collective (APC), à la convention n° 158 sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989.
Dans un rapport du 16 février 2022, mis en ligne le 25 mars, elle réaffirme l’autorité et le pouvoir du juge national qu’il s’agisse de déterminer si la notion des «nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise en vue de préserver ou de développer l’emploi » a été effectivement respectée ou bien d’exercer un véritable contrôle judiciaire sur le caractère réel et sérieux du licenciement.
La conformité de l'APC aux articles 4, 8 et 9 de la convention n° 158 remise en question par deux syndicats
Pour rappel, l’accord de performance collective est un accord qui peut être conclu afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi. Ses stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. En cas de refus du salarié de la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord, l’employeur peut décider de licencier le salarié sur la base d’un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse (C. trav., art. L. 2254-2).
Les syndicats CGT et FO soutiennent que ce dispositif «offre une grande latitude à l’employeur, l’autorisant à licencier sans réelle justification » , en violation de la convention n° 158 de l’OIT.
Ils considèrent, en effet, que ce motif spécifique de licenciement n’entre pas dans les catégories juridiques des motifs de licenciement prévus par l’article 4 de la convention, lequel impose l’existence d’un « motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ».
Ils soutiennent, en outre, que le fait de considérer que le licenciement consécutif au refus du salarié d’accepter l’application de l’accord repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse est contraire aux articles 8 et 9 de la convention dans la mesure où il empêche un contrôle réel du juge sur la justification du licenciement. Ce contrôle étant ainsi limité à une simple vérification procédurale de la validité de l’accord.
Le juge doit vérifier si la condition de « nécessités de fonctionnement de l’entreprise » est effectivement respectée
Le comité chargé d’examiner cette réclamation souligne que la notion des «nécessités de fonctionnement de l’entreprise » figurant à l’article 4 de la convention 158 ne fait l’objet d’aucune définition au niveau international et que les organes de contrôle l’ont illustrée sur la base d’éléments concrets renvoyant à la législation de différents États. Il considère, dès lors, qu’il incombe au juge national de déterminer si cette notion a été effectivement respectée au sens de l’article 4 de la convention précitée.
Le juge doit exercer un véritable contrôle judiciaire sur le caractère réel et sérieux du licenciement
Dès lors, le comité estime que le juge doit pouvoir continuer à procéder à un véritable contrôle judiciaire du motif du licenciement. Il considère, en effet, que «le texte de l’article L. 2254-2 ne fait que rappeler l’exigence selon laquelle tout licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse ».
C’est donc à lui de déterminer, à l’occasion d’un litige portant sur un tel licenciement, s’il existe ou non un motif valable au sens de l’article 4 de la convention, à savoir si le motif du licenciement est fondé sur «les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ». Il précise, par ailleurs, que la charge de la preuve ne devra pas reposer sur le seul salarié.
Et maintenant ?
Les recommandations de l’OIT servent de principes directeurs ayant une visée incitative. Elles n’acquièrent pas d’effet contraignant.
Le comité invite donc le gouvernement à tenir la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) informé des mesures prises pour mettre en œuvre cette recommandation.
Reste à savoir quelle sera la position de la Cour de cassation. Selon nous, Il est probable qu'elle applique cette recommandation puisqu'elle a déjà eu l’occasion de définir les modalités de contrôle par le juge du caractère réel et sérieux du motif du licenciement d’un salarié ayant refusé l’application d’un accord de mobilité interne. Elle avait alors précisé, la méthode à suivre par le juge pour contrôler le caractère réel et sérieux du motif du licenciement, au visa de l’article 4 de la Convention n° 158 de l’OIT sur l’obligation de fonder un licenciement non inhérent au salarié sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise et des articles 9.1 et 9.3 qui définissent le contrôle du juge et prévoient notamment qu’« en cas de licenciement motivé par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, le tribunal devra être habilité à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs » (Cass. soc ; 2 déc. 2020, n° 19-11.986).
Remarque
l’accord de mobilité interne était un dispositif qui permettait d’organiser par accord collectif des mesures de mobilité géographique ou professionnelle interne l’entreprise. Le salarié qui refusait une mesure de mobilité prévue par l’accord pouvait être licencié. Le licenciement reposait alors sur un motif économique et la procédure à suivre était celle du licenciement individuel pour motif économique. Aujourd’hui, cet accord n’existe plus en tant que tel. Il a été remplacé par l’accord de performance collective.
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