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19 septembre 2023
Le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas soumis à l'exigence d'agir de manière désintéressée pour être protégé en tant que lanceur d’alerte nous dit la Cour de cassation.

Comme dans un précédent arrêt du 15 février dernier relatif à la procédure d’alerte graduée, la Cour de cassation a rendu le 13 septembre une décision interrogeant les critères pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte. Sont-ils les mêmes quelle que soit la nature du fait dénoncé ? C’est encore une fois non pour la Cour qui opère une différence entre les faits constitutifs d'un délit ou d'un crime et les autres.

En l’espèce, un salarié, directeur des opérations dans une entreprise de sécurité, avait signalé au président de la société des irrégularités relatives au non-respect de la réglementation des sociétés de sécurité ainsi que des facturations illicites. Il l’avait également informé des démarches qu’il comptait entreprendre auprès des autorités de contrôle et du procureur de la République. Le salarié avait été licencié pour faute grave, licenciement qui avait été déclaré nul par la cour d’appel car consécutif à une alerte. Au soutien de son pourvoi en cassation, l’employeur faisait notamment valoir que le signalement n’était pas désintéressé.

Une interprétation stricte : lors du signalement d’un délit ou crime, la bonne foi suffit

Pour l’employeur, il ressort de l’article L. 1132-3-3 du code du travail et surtout de l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dans leur version antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 qu’un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale prise sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou d'une menace ou d'un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Or selon lui, le salarié en cause n'était pas désintéressé dans sa dénonciation puisqu’il l’avait faite après avoir été informé de la prolongation de sa période d’essai et avait tenté de négocier de nouvelles conditions de travail plus avantageuses : il ne pouvait donc pas revendiquer le statut protecteur de lanceur d’alerte.

Dans la même logique que dans l’arrêt du 15 février, la chambre sociale applique stricto sensu l’article L. 1132-3-3. Selon son premier alinéa, ne peut pas faire l'objet de mesures discriminatoires ou de représailles la personne qui a « relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont elle aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ». Seul le deuxième alinéa pose comme condition le respect des articles 6 à 8 de la loi Sapin 2. « Il en résulte que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas soumis à l'exigence d'agir de manière désintéressée au sens de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ». De cette même application littérale de l’article L. 1132-3-3, la Cour déduit également que le salarié qui dénonce un délit ou crime (dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions) ne peut être licencié pour ce motif, sauf s’il est de mauvaise foi.

La mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés

Le salarié était-il alors de mauvaise foi ? Oui pour l’employeur mais la cour d’appel retenait de son côté que les faits visés dans la lettre de licenciement comme relevant de menaces et chantages à l'égard de la direction faisaient référence aux courriers que le salarié avait adressés à celle-ci pour l'aviser des démarches qu’il entendait entreprendre auprès des autorités compétentes et des faits illicites relevant de la sécurité (affaires de sécurité qui étaient toujours traitées par différentes entités non autorisées à vendre une prestation de sécurité, graves manquements qu'il avait constatés concernant des facturations illicites, etc.).

Elle ajoutait par ailleurs que le salarié n’avait pas dénoncé mensongèrement les faits reprochés, de sorte que la mauvaise foi n’était pas établie. Tout comme dans l’arrêt du 15 février, la Cour de cassation s’aligne sur cette vision : la mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits que le salarié dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. Et comme les juges du fond ont fait ressortir que le salarié avait été licencié pour des faits qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser le délit prévu par l’article L. 617-4 du code de la sécurité intérieure, elle approuve l’annulation du licenciement.

Une décision transposable aux dispositions actuellement en vigueur

Pour rappel, la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 a modifié la définition du lanceur d’alerte à compter du 1er septembre 2022. Pour être protégé en qualité de lanceur d’alerte, l’auteur du signalement doit l’effectuer « sans contrepartie financière directe », et non plus « de manière désintéressée ». L’article L. 1132-3-3 du code du travail a aussi évolué puisqu’il ne traite plus que de la protection de la personne qui témoigne ou relate de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime. Hors ces cas, les conditions sont désormais développées au sein de l’article L. 1121-2, qui renvoie toujours aux règles générales du statut de lanceur d’alerte développées dans la loi Sapin 2.

La décision d’espèce, même motivée sur la base de textes qui ne sont plus en vigueur, reste applicable aujourd'hui.

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Elise DRUTINUS
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