Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi, refusé de subir ou dénoncé des agissements de harcèlement moral (C. trav., art. L. 1152-1 et L. 1152-2). Toute rupture du contrat de travail, toute disposition ou tout acte contraire intervenu en méconnaissance de ces dispositions est nul (C. trav., art. L. 1152-3), sauf mauvaise foi du salarié (Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092).
La Cour de cassation a ajouté en 2017 que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut bénéficier de la protection contre le licenciement que s’il a clairement qualifié les faits de la sorte (Cass. soc., 13 sept. 2017, n° 15-23.045).
Remarque
dans cette affaire, le salarié avait dénoncé dans un courriel des comportements « abjects, déstabilisants et profondément injustes » sans les qualifier de harcèlement moral.
Dans une décision du 19 avril, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et abandonne l’exigence de qualification des faits par le salarié.
Abandon de la nécessité de qualifier les faits dénoncés
Une salariée est licenciée pour faute grave après avoir adressé à des membres du conseil d’administration de l’association qui l’employait un courrier mettant gravement en cause l’attitude et les décisions prises par son supérieur hiérarchique, lesquelles auraient entraîné une dégradation de ses conditions de travail.
Soutenant que le licenciement a été prononcé pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, la salariée saisit la juridiction prud’homale.
Son employeur avance logiquement que la salariée, qui a n’a pas employé le terme de « harcèlement moral » dans son courrier, ne peut se prévaloir des dispositions protectrices des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation de 2017.
Les juges du fond reconnaissent tout de même l’existence d’un harcèlement moral et prononcent la nullité du licenciement, validée par la Cour de cassation qui revient ainsi sur sa jurisprudence.
A l’appui de son revirement, la Cour de cassation avance deux arguments :
- tout d’abord le principe d’égalité des armes dans la mesure où la Cour a octroyé la faculté à l’employeur d’invoquer devant le juge la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral et ce sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention dans la lettre de licenciement (Cass. soc., 16 sept. 2020, n° 18-26.696). L’employeur bénéficiait ainsi d’une possibilité d’améliorer sa défense devant le juge alors même que l’arrêt du 13 septembre 2017 la refusait au salarié ;
- ensuite la cohérence avec la protection qu’elle a conférée au salarié licencié qui a fait un usage non abusif de sa liberté d’expression, et dont le licenciement a été annulé pour ce seul motif (Cass. soc., 16 févr. 2022, n° 19-17.871), à l’instar de la sanction du licenciement prononcé au motif de la dénonciation par le salarié de faits qu’il a expressément qualifié de harcèlement moral.
Elle conclut que « il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi (…) ».
Attention au « caractère évident » des faits dénoncés
La notice de l’arrêt précise toutefois que cette solution ne s’applique « que si l’employeur ne pouvait légitimement ignorer, à la lecture de l’écrit adressé par le salarié ayant motivé son licenciement, que ce dernier dénonçait bien des agissements de harcèlement ».
Il appartient donc aux juges du fond de vérifier le caractère évident de la dénonciation de harcèlement dans l’écrit du salarié, quand bien même le terme « harcèlement moral » n’a pas été employé.
La Cour de cassation considère que c’était bien le cas en l’espèce dans la mesure où la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir dénoncé des faits ayant entraîné selon elle une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.
La mauvaise foi de la salariée n’ayant pas été démontrée, le licenciement prononcé à son encontre est donc nul.