Le contentieux de l'annulation des élections professionnelles est enserré dans des délais serrés et réglementés. En effet, pour une raison évidente de sécurité juridique, il faut agir dans les 15 jours (C. trav., art. R. 2314-24). Mais déterminer le point de départ de ce délai n'est pas toujours facile, dans certains cas particuliers.
C'est à cette question que répond l'arrêt du 22 janvier 2025 dans le cas d'un syndicat qui conteste l'élection au motif que l'employeur a écarté sa liste de candidats au premier tour, n'a pas organisé de premier tour à défaut d'autres candidatures, mais organisé un second tour.
Fondée sur le défaut de prise en compte d'une candidature syndicale et l'absence d'organisation du premier tour...
Dans cette affaire, une entreprise organise ses élections professionnelles. Un protocole préélectoral est signé, et n'est pas contesté. Il prévoit une date limite de dépôt des candidatures du premier tour le 15 mai. Un syndicat adresse une liste de candidats le 15 mai à 21h40. L'employeur ne tient pas compte de cette candidature et constate la carence de candidature syndicale pour le premier tour, puis organise le second tour.
Remarque
en principe, l'employeur ne peut se faire juge de la validité des candidatures, mais il en va autrement lorsque le PAP, non contesté, fixe les modalités de ce dépôt. Dans ce cas, l'employeur ne commet aucune irrégularité en refusant de tenir compte d'une liste déposée en retard (Cass. soc., 9 nov. 2011, n° 10-28.838 ; Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-19.657). Cependant, dans cette affaire, d'après les faits qui nous sont exposés dans l'arrêt, le PAP ne prévoit pas d'heure limite de dépôt des candidatures. Le droit de l'employeur de rejeter de son propre chef cette liste déposée le dernier jour, mais tard dans cette journée, est donc contestable. L'arrêt ne se prononce pas sur cette question.
Le PAP prévoit une date du premier tour le 16 juin, et du second tour le 30 juin. Le premier tour n'a donc pas lieu et le syndicat évincé dépose une requête le 22 juin en contestation de la validité des élections, avant même, donc, que le second tour se tienne, mais après la date prévue du premier tour dans le PAP.
L'employeur conteste le jugement qui a déclaré recevable l'action du syndicat, et a annulé les élections professionnelles qui se sont déroulées dans l'intervalle. Le tribunal l'a également condamné à organiser de nouvelles élections.
Les arguments de l'employeur se fondent sur une jurisprudence de la Cour de cassation qui autorise la demande d'annulation des élections en amont de leur déroulement si le juge est saisi d'une demande d'annulation du protocole préélectoral ainsi que des élections qui vont se tenir sur la base de ce protocole contesté (Cass. soc., 12 mai 2021, n° 19-23.428). Or dans cette affaire, le syndicat ne conteste pas le protocole, mais bien l'organisation d'un second tour, alors que le syndicat a déposé une liste pour le premier tour dont l'employeur n'a pas tenu compte et n'a pas organisé de premier tour. La Cour ne reprend donc pas cette argumentation.
...la contestation des élections n'est plus recevable au-delà des 15 jours suivant la publication du PV de carence
La Cour de cassation se fonde sur l'article R. 2314-24 du code du travail qui prévoit que lorsque la contestation porte sur la régularité de l'élection, la requête n'est recevable que si elle est remise ou adressée dans les 15 jours suivant cette élection.
Puis elle explique que « lorsqu'elle est fondée sur le défaut de prise en compte d'une candidature syndicale et l'absence d'organisation du premier tour en vue duquel la candidature litigieuse avait été déposée, la contestation n'est plus recevable au-delà d'un délai de quinze jours suivant la publication du procès-verbal de carence. Il en résulte que celui qui saisit le tribunal judiciaire d'une telle contestation est recevable à demander, dans la même requête, l'annulation des élections à venir en conséquence de l'organisation contestée d'un second tour, sans avoir à réitérer cette demande dans le délai de quinze jours suivant les élections ».
En d'autres termes, la partie qui conteste doit déposer sa requête au plus tard 15 jours suivant la publication du PV de carence du premier tour des élections. Dans ce cadre, il est possible de demander l'annulation des élections, même si le second tour n'a pas encore eu lieu à la date de la requête. Point besoin de réitérer cette demande dans les 15 jours suivant l'organisation du second tour.
Puis la Cour ajoute que « si le syndicat avait exercé son recours dans les quinze jours suivant la proclamation des résultats du second tour, il aurait pu se voir opposer la tardiveté de sa contestation ».
Donc non seulement il est possible de contester l'élection avant le déroulement du second tour, mais encore cela est nécessaire au risque de voir l'action déclarée forclose car tardive si l'on attend l'issue du second tour.
Remarque
à noter que cette solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle considère que les actions en justice propres au premier tour doivent être exercées dans les 15 jours suivant ce premier tour. Ainsi, l'employeur qui organise le second tour des élections sans demander l'annulation du premier tour, à l'issue duquel un candidat a été proclamé élu, n'est plus recevable, faute d'avoir exercé un recours dans le délai de 15 jours, à soutenir que le quorum n'a pas été atteint lors de ce premier scrutin (Cass. soc., 18 févr. 1988, n° 87-60.093). Il en va de même si la contestation porte sur la mesure de la représentativité des syndicats : c'est le premier tour des élections du comité qui sert à mesurer l'audience syndicale, la contestation en justice de cette mesure d'audience n'est donc recevable que si elle est faite dans les 15 jours suivant ce premier tour (Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.453).
La question du PV de carence du premier tour des élections professionnelles
Cependant une question se pose : établir un PV de carence du premier tour n'est pas une obligation légale. En effet, l'obligation d'établir un procès-verbal de carence est limitée au cas où la carence a été constatée à la fois au premier et au second tour de scrutin, et où aucun siège n'a donc pu être attribué (Circ. DRT n° 13, 25 oct. 1983, 2.1 ; Cass. soc., 18 mai 1982, n° 81-60.746).
Il n'existe même pas de modèle Cerfa de PV de carence du premier tour. Seul existe le PV de carence totale affectant l’ensemble de l’institution, c’est-à-dire en l’absence de candidats aux deux tours de scrutin dans tous les collèges de l’instance, et à la fois chez les titulaires et les suppléants (« PV de carence pour tous les collèges » : CERFA n°15248*06). A noter qu'il est également possible d’utiliser le site elections-professionnelles pour la saisie et la transmission de ces données.
Remarque
il est toutefois fortement recommandé à l'employeur d'établir un tel PV de carence du premier tour et de l'envoyer à l'inspecteur du travail. Rappelons en effet que le premier tour des élections revêt une importance essentielle pour l'entreprise, car ce sont les résultats du premier tour des élections qui déterminent quels sont les syndicats représentatifs dans l'entreprise. A défaut de premier tour, il n'y a donc pas de syndicat représentatif dans l'entreprise, et pas de possibilité de désigner un délégué syndical. Il est donc prudent de l'acter auprès de l'inspecteur du travail.
Or la Cour de cassation renvoie bien à la « publication du procès-verbal de carence », et pas à la date prévue pour le premier tour dans le PAP.
Dans cette affaire, il apparaît que l'employeur a bel et bien établi un tel PV de carence (du moins il a « constaté la carence de candidature syndicale pour le premier tour »), mais quid si une entreprise dans cette situation ne l'a pas fait ? Il faut déjà noter que la Cour de cassation précise que « la contestation n'est plus recevable au-delà du délai de 15 jours suivant la publication du PV de carence », aussi, il semble que l'action devrait être recevable dès le rejet de la candidature par l'employeur, et le constat de carence de candidature syndicale par l'employeur, quelle que soit sa forme (par exemple, par l'envoi de la note d'information relative à l'organisation du second tour dans laquelle la carence est nécessairement évoquée). Ou alors peut-on tenir compte de la date prévue pour le premier tour dans le PAP ? La Cour de cassation n'y repond pas, ce point reste donc à confirmer.
Remarque
sur son site internet consacré aux élections professionnelles, le ministère du travail publie des questions-réponses. Il y est bien précisé que « depuis le portail elections-professionnelles, les résultats peuvent être saisis après chaque tour, mais ils ne sont transmis à l’administration que lorsque l’élection est complète pour l’ensemble des collèges. En cas de saisie papier, il reste préférable d’attendre que les deux tours de scrutin, qui apparaissent d’ailleurs en recto et en verso du même imprimé, aient eu lieu pour adresser son procès-verbal. Cette transmission doit avoir lieu dans les 15 jours suivant le 2ème tour du scrutin, s’il a lieu ». Ce qui confirme bien qu'il n'y a pas « publication » du PV de carence du premier tour de prévu ou d'obligatoire, hors du PV global du résultat des élections.