Dans une décision du 11 septembre 2025 suite à une question préjudicielle, la CJUE est venue apporter plusieurs précisions concernant l'interdiction des discriminations « par association » fondées sur le handicap.
Une salariée italienne opératrice de gare demande à plusieurs reprises à son employeur de l'affecter à un poste de travail à horaires fixes afin de pouvoir s'occuper de son fils atteint de handicap, lequel requiert des soins quotidiens à heures fixes. L'employeur refuse ce changement de poste, mais aménage tout de même ses conditions de travail en lui assignant un lieu de travail fixe, et des horaires préférentiels par rapport aux autres opérateurs.
Estimant que cela n'est pas suffisant, la salariée introduit un recours devant le tribunal de Rome, afin de voir reconnaître le caractère discriminatoire de ce refus d'aménagement permanent de ses conditions de travail. Son recours est rejeté en première instance, puis en appel, et la salariée forme un pourvoi en cassation. La Cour italienne saisie renvoie alors à la CJUE la question préjudicielle suivante : un employé qui n'est pas lui-même handicapé peut-il se prévaloir en justice de la protection contre l'interdiction de toute discrimination indirecte fondée sur le handicap prévue par la directive 2000/78, en raison de l'assistance qu'il apporte à son enfant atteint d'un handicap ? Et dans l'affirmative, l'employeur est-il tenu d'adopter à son égard des aménagements raisonnables afin de remédier à la situation de discrimination indirecte ?
Extension de la protection contre les discriminations « par association » aux discriminations indirectes
La CJUE juge en premier lieu que l'interdiction des discriminations prévue par la directive 2000/78 vise également la discrimination indirecte dite « par association ». La notion de discrimination par association a été consacrée par l'arrêt Coleman du 17 juillet 2008 (CJUE, 17 juillet 2008, C-303/06), qui étend la protection contre les discriminations directes fondées sur le handicap aux salariés qui ne sont pas eux-mêmes handicapés, mais ont fait l'objet d'une telle discrimination directe en raison de l'assistance portée à leur enfant atteint d'un handicap, et qui permet à ce dernier de recevoir l'essentiel des soins que nécessite son état. Cet arrêt ne précisait cependant pas si ce raisonnement était également applicable aux discriminations indirectes.
C'est donc désormais chose faite avec la décision du 11 septembre 2025, qui étend la portée de l'arrêt Coleman aux discriminations indirectes par association fondée sur le handicap. La Cour justifie sa solution en rappelant les termes de ce dernier : la directive a pour objet de lutter contre toutes les formes de discriminations fondées sur le handicap, et le principe d'égalité de traitement de cette directive ne s'applique non pas à une catégorie de personne déterminées, mais en fonction des motifs visés à l'article 1er de cette directive. Il suffit donc que la personne victime du traitement défavorable l'ait été en fonction de l'un des motifs de discrimination prohibés, peu important qu'elle soit elle-même personnellement concernée par ce motif ou non.
La Cour de cassation française s'est quant à elle, non seulement approprié la jurisprudence Coleman, mais l'a également étendue à d'autres motifs de discriminations. Elle a en effet jugé que le motif de discrimination lié à la situation de famille ne vise pas uniquement la personne discriminée, le traitement différencié entre employés motivé par le fait que l'une est l'épouse de l'employeur étant considéré comme discriminatoire (Cass. soc., 9 avril 2025, n°23-14.016). Il est donc probable que la solution de l'arrêt de la CJUE du 11 septembre 2025 sera également reprise en ce qui concerne les discriminations indirectes, si la situation venait à se présenter.
La protection contre les discriminations indirectes par association requiert des aménagements raisonnables pour être effective
La CJUE conclut que l'interdiction des discriminations indirectes par association fondées sur le handicap entraîne l'obligation d'adopter des aménagements raisonnables au sens de l'article 5 de la directive 2000/78. Ce principe d'aménagement raisonnable est en effet prévu par cet article comme un élément consubstantiel du principe d'égalité de traitement (il permet de « garantir de respect du principe de l'égalité de traitement à l'égard des personnes handicapées » selon les termes du texte). La CJUE le conçoit également comme une condition indispensable à l'effectivité de l'interdiction des discriminations, précisant qu'à défaut d'une telle obligation, elle serait « privée d'une partie importante de son effet utile ». L'employeur, en l'espèce, est donc tenu de permettre à la salariée un aménagement raisonnable de ses conditions de travail, le refus pouvant être considéré comme une discrimination fondée sur l'état de santé du salarié.
La CJUE apporte également des précisions sur les types d'aménagements possibles : ils peuvent consister en une réduction du temps de travail, ou à certaines conditions, en une réaffectation à un autre poste de travail, ce qui avait été demandé en l'espèce par la salariée. La Cour éclaire également sur la notion de « charge disproportionnée » : il convient de tenir compte des coûts financiers de ces aménagements par rapport à la taille et aux ressources financières de l'organisation ou de l'entreprise, et de la possibilité d'obtenir des aides, notamment publiques.
En cas de demande d'aménagement raisonnable, l'employeur devra donc justifier d'un motif lié à la charge que représentent ces aménagements par rapport à la situation, notamment financière, de l'entreprise pour refuser. A défaut d'un tel motif, son inaction ou son refus d'aménager le poste pourra s'analyser comme une mesure de discrimination indirecte.