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14 novembre 2024
Dans deux arrêts du 6 novembre 2024, la Cour de cassation confirme sa position prise en 2023. L'action d'un syndicat tendant à ce qu'il soit ordonné à l'employeur qui n'a pas respecté un accord collectif de régulariser la situation individuelle des salariés est irrecevable, l'intérêt collectif d'une telle action n'étant pas caractérisé.

Sur le fondement de l'article L. 2132-3 du Code du travail, les syndicats professionnels peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Cette notion d'intérêt collectif est entendue largement par la jurisprudence.

Elle peut notamment recouvrir le non-respect d'une convention ou d'un accord collectif. Ainsi, indépendamment de l'action réservée par l'article L. 2262-11 du Code du travail aux syndicats liés par une convention ou un accord collectif de travail, les syndicats professionnels, qu'ils soient ou non signataires, sont recevables à demander sur le fondement de l'article L. 2132-3 l'exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail, même non étendu, son inapplication causant nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de la profession (Cass. soc., 11 juin 2013, n° 12-12.818).

Dans le cas d'actions pour défendre les droits des travailleurs, la limite entre intérêt purement individuel et intérêt collectif de la profession n'est pas toujours évidente à trouver.

Intérêt collectif de la profession et intérêt individuel : une distinction précisée par la Cour de cassation fin 2023

Dans deux arrêts du 22 novembre 2023, la Cour de cassation a précisé la ligne de partage existant entre intérêt collectif et intérêt individuel (Cass. soc. 22 nov. 2023, n° 22-11.238 et n° 22-14.807). Elle considère qu' « un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d'égalité de traitement et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte » . En revanche, « il ne peut prétendre obtenir du juge qu'il condamne l'employeur à régulariser la situation des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts ». En d'autres termes, les salariés doivent tirer les conséquences de l'action syndicale et, pour obtenir la régularisation de leur situation sur le fondement de la décision judiciaire prise, agir eux-mêmes en justice.

Dans les deux arrêts précités, l'action du syndicat était fondée sur le non-respect du principe d'égalité de traitement. 

Remarque

dans la première affaire (n° 22-11.238), un employeur avait décidé unilatéralement d'octroyer des augmentations générales de salaires basées sur des tranches de salaire. Se fondant sur une inégalité de traitement, un syndicat contestait ce mode de calcul en justice et demandait que les augmentations générales de salaires soient opérées en tenant compte de la qualification professionnelle et suivant un coefficient hiérarchique. Dans la seconde affaire (n° 22-14.807), faute d’accord avec la direction, un syndicat avait saisi la justice pour obtenir la condamnation d'une société absorbante à verser une prime de 13e mois aux salariés n’en bénéficiant pas à la suite des différents transferts engendrés par la fusion-absorption. Elle réclamait également (à tort), outre des dommages et intérêts, la régularisation de la situation de ces salariés pour le passé. Pour des détails sur ces deux arrêts, voir notre article du 27 novembre 2023.

Une position confirmée par deux arrêts du 6 novembre 2024

Dans deux arrêts rendus le 6 novembre 2024 portant, cette fois-ci, sur le non-respect de dispositions légales et/ou conventionnelles, la Cour de cassation confirme cette ligne de partage.

Dans la première espèce (n° 22-17.106), un employeur et un syndicat avaient, pour limiter l'évolution de la masse salariale, conclu un accord collectif gelant les changements d'échelons d'une partie du personnel pendant 3 ans, soit entre le 1er avril 2013 et le 31 mars 2016. L'employeur avait toutefois continué d'appliquer le gel d'échelon après le 31 mars 2016. Le syndicat saisit la justice afin d'obtenir :

  • la limitation des effets de l'accord collectif aux rémunérations dues pendant la période prévue conventionnellement (1er avril 2013 - 31 mars 2016), 
  • et, à l'issue de cette période, la reconstitution de carrière avec reprise d'échelons de ces personnels (et rattrapage salarial). 

Pour les juges d'appel et la Cour de cassation, l'action du syndicat tendant à faire constater la violation par l'employeur de l'accord collectif et à enjoindre à celui-ci de respecter ledit accord est parfaitement recevable. En revanche, n'est pas recevable celle tendant à lui ordonner de repositionner les salariés concernés à compter d'une certaine date à un niveau d'échelon correspondant à leur ancienneté conformément à la disposition conventionnelle, à reconstituer leur carrière et à procéder à un rattrapage salarial. Une telle action tend à régulariser la situation individuelle des salariés concernés.

Remarque

dans son avis joint à l'arrêt, l'avocat général estime qu'une telle demande nécessite « un calcul précis, salarié par salarié, de l'ancienneté acquise dans l'entreprise en fonction de leur date d'arrivée ». « De telles opérations relèvent de l'appréciation de la situation individuelle et de la revendication de droits liés à la personne de chacun des salariés concernés, demandes qu'il leur appartenait le cas échéant de former en justice, plutôt que de l'indemnisation d'un préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession ».

Dans la seconde espèce, durant la pandémie de Covid-19 et suite à la fermeture de ces établissements découlant de cette pandémie, un  groupe de restauration collective avait placé un certain nombre de ses salariés en activité partielle. Cette période d'activité partielle englobait quelques jours fériés habituellement chômés. Au mépris de l'article L. 3133-3 du Code du travail et de la convention collective lui étant applicable, l'employeur avait rémunéré ces jours fériés comme s'il s'agissait d'un jour d'activité partielle (indemnisé à hauteur de 70 % de la rémunération antérieure du salarié), alors qu'ils devaient être rémunérés comme s'il s'agissait d'un jour normalement travaillé. Un syndicat saisit le tribunal judiciaire pour faire condamner l'employeur à lui verser des dommages-intérêts pour violation de l'intérêt collectif de la profession et à régulariser la situation des salariés concernés par le versement de rappels de salaire.

La Cour d'appel fait droit aux demandes du syndicat. A tort. La prétention du syndicat ne se limite pas à voir constater l’illégalité du mode de calcul de la rémunération d’une collectivité de salariés et éventuellement indemniser un préjudice collectif infligé à la profession. Elle tend à voir modifier la situation individuelle des salariés concernés, ce qui relève de la liberté personnelle de chaque salarié (même non nommément désigné).

Remarque

comme le souligne Monsieur Halem, avocat général, dans son avis joint à l'arrêt, « la demande de régularisation de la situation individuelle des salariés concernés nécessite, pour y répondre effectivement, d’identifier les personnes concernées, de déterminer les jours fériés chevauchant les périodes d’activité partielle éventuellement subies par chacune d’elles, de calculer, en fonction du niveau de rémunération de chaque salarié concerné, l’arriéré leur étant dû et de condamner l’employeur à leur régler personnellement, sauf à priver la décision de tout caractère exécutable ».

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