Un syndicat professionnel peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente (C. trav., art. L. 2132-3).
Un syndicat lié par une convention ou un accord collectif de travail peut également en son nom propre intenter contre les autres organisations ou groupements, ses propres membres ou toute personne liée par la convention ou l'accord toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommages et intérêts (C. trav., art. L. 2261-11).
Remarque
l'action en application d'une convention collective peut également être fondée sur l'article L. 2132-3 du code du travail tendant à la défense des intérêts collectifs de la profession.
La recevabilité de l'action en justice d'un syndicat au titre de la défense des intérêts de la profession ou en vertu de l'article L. 2261-11 du Code du travail, donne lieu à de nombreuses décisions de jurisprudence. Certaines de ces solutions ne tranchent pas une incertitude ou n'élaborent pas une règle, mais rappellent le droit applicable, précisent certains cas particuliers ou encore fournissent des illustrations intéressantes.
Nous vous présentons sous forme de tableau une sélection de ces arrêts des mois de février et mars 2024.
Objet de l'action syndicale |
Contexte |
Solution |
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Atteinte à une convention collective |
Si un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions conventionnelles, et demander qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, il ne peut prétendre obtenir du juge qu'il condamne l'employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts. L’intérêt lésé doit donc être collectif ; les intérêts purement individuels sont exclus. La limite entre intérêt purement individuel et intérêts collectifs de la profession n’est pas toujours évidente à trouver. |
Est irrecevable l’action d’un syndicat tendant à ce qu’il soit ordonné à l’employeur de régulariser la situation individuelle des salariés concernés au motif qu’ils ont été privés du versement des indemnités de douche qui leur seraient dues en application des dispositions conventionnelles (cassation n%C2%B0 22-20.535). |
Un syndicat peut agir en justice aux fins d'obtenir des dommages-intérêts en cas de violation des dispositions d'un accord de branche dès lors qu’elle cause un préjudice à l'intérêt collectif de la profession qu'il défend. Les juges doivent évaluer le préjudice en question. |
Une irrégularité commise par l'employeur au regard des dispositions conventionnelles portant sur les conditions d’éligibilité des salariés aux conventions de forfait en heures cause un préjudice à l’intérêt collectif de la profession. Il appartient alors aux juges du fond d’évaluer ce préjudice (Cass. soc., 28 févr. 2024, n° 21-25.598, n° 21-25.599, n° 21-25.600 et n° 21-25.601). Dans le même sens, la violation des dispositions des accords d’établissements cause un préjudice à l’intérêt collectif de la profession. Dès lors que les juges du fond constatent une telle violation, il leur appartient d’évaluer ce préjudice ; ils ne peuvent débouter le syndicat de sa demande de dommages et intérêts au motif que le syndicat ne démontre pas effectivement avoir subi un préjudice du fait de ce manquement (Cass. soc., 28 févr. 2024, n° 22-16.692). |
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Les actions personnelles se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. |
Est prescrite l'action d'un syndicat engagée le 20 octobre 2020 pour obtenir, sous astreinte, la condamnation d'une entreprise à payer forfaitairement la prime de repas à tous les salariés quel que soit leur temps de travail. Le délégué syndical, après avoir été admis à travailler à temps partiel au mois d'avril 2011, avait perçu une prime de repas proratisée à compter du mois de mai 2011. Dès lors, le syndicat avait été, dès cette date, en mesure de connaître la proratisation de la prime de repas pour les salariés à temps partiel (Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-17.255). |
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Atteinte au libre exercice de la liberté syndicale |
La défense par les syndicats de l'intérêt collectif des professions qu’ils représentent passe notamment par l’exercice de la liberté de manifestation, qui découle de la liberté d’expression, dont le principe est constitutionnellement et conventionnellement garanti. Pour qu'une constitution de partie civile d'un syndicat soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué, porté à l'intérêt collectif d'une profession représentée, et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale. |
Un syndicat peut se porter partie civile pour des faits de violences illégitimes contre un de ses militants lors d'une manifestation. En l'espèce, à la suite de violences illégitimes, qui auraient été perpétrées par un policier au courd d'une manifestation contre la réforme des retraites, un adhérent d'un syndicat a perdu totalement la vue d'un oeil. Dans le cadre de l'instruction de ces faits de « violences par une personne dépositaire de l'autorité publique suivie de mutilation ou infirmité lors de manifestation sur la voie publique » , le syndicat décide de se constituer partie civile. Cette constitution est déclarée recevable par le tribunal judiciaire (TJ Paris ord. du 13 févr. 2024). |
Atteinte à la vie privée d'un délégué syndical par un autre syndicat |
Un syndicat peut agir en justice aux fins d'obtenir des dommages-intérêts en cas d'atteinte à la vie privée d'un de ses délégués syndicaux sur le fondement de l'article 9 du Code civil. |
La seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation. En l'espèce, un délégué syndical et son syndicat avaient demandé des dommages et intérêts résultant de l'atteinte à la vie privée causée par la diffusion du bulletin de salaire du délégué. Les juges d'appel les ont débouté de leur demande au motif qu'ils n'apportaient aucun élément de nature à établir que la communication, à des tiers, du montant de la rémunération du délégué syndical aurait eu un quelconque effet en termes de réputation, de carrière, d'image au sein de l'entreprise. A tort (Cass. soc., 20 mars 2024, n° 22-19.153) (pour un commentaire plus approfondi de l'arrêt, voir l'article du 9 avril 2024). |