Dans le cadre d’une franchise participative, une SARL, détenue à 74 % par deux personnes physiques et à 26 % par une société, sous-filiale à 100 % d’une société de distribution, a pour objet social la création et l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché dépendant de la franchise, « à l’exclusion de tout autre ». Des contrats de franchise et d’approvisionnement sont conclus avec la société de distribution pour une durée de 7 ans renouvelable tacitement en l’absence de dénonciation. Ses statuts stipulent en outre que la modification de l’enseigne par la gérance est subordonnée à une autorisation des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales.
Par la suite, les cogérants-associés majoritaires dénoncent ces contrats en respectant le délai requis d’un an avant la fin du contrat. Deux projets de résolution sont alors soumis à l’assemblée générale de la société. Le premier vise à modifier l’objet social en supprimant la référence à l’enseigne de distribution. Le second tend à aménager les pouvoirs des gérants afin de leur permettre de modifier l’enseigne du fonds sans autorisation des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales. L’associé minoritaire, filiale du groupe de distribution, vote contre ces résolutions. Les majoritaires invoquent un abus de minorité et demandent la désignation d’un mandataire ad hoc afin qu’il vote au nom de l’associé minoritaire sur ces projets.
La cour d’appel ayant accueilli favorablement la demande des majoritaires, le minoritaire se pourvoit en cassation. La Cour de cassation rejette la plupart de ses arguments, mais casse l’arrêt car la cour d’appel s’est contredite. Celle-ci ne pouvait pas valablement nommer un mandataire ad hoc pour se prononcer sur la modification de l’objet social alors qu’elle avait retenu que la dénonciation des deux contrats conduisait à la nécessité de modifier l’objet social, ce dont il résultait qu’elle échappait à la compétence des gérants.
La solution appelle plusieurs remarques.
Le refus de voter la modification de l’objet social peut constituer un abus de minorité
Le minoritaire invoquait le fait que « l’intérêt d’une société ne peut commander d’en modifier l’objet », son intérêt social étant lié à son objet social. La Cour de cassation répond catégoriquement : « le refus d’un associé minoritaire de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société ». La précision est utile car on pouvait se demander si l’intérêt social pouvait être invoqué pour s’opposer à une telle modification. En cela, l’arrêt peut être rapprochée d’une solution récente ayant admis que le refus de prorogation peut être contraire à l’intérêt de la société et donc constituer un abus de droit de vote (Cass. 3ème civ., 7 déc. 2023, n° 22-18.665). On notera que dans ces deux arrêts, la Cour se réfère à « l’intérêt général de la société » et non à celui de l’intérêt social (dans ce sens déjà, Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-11.860).
Nécessité de soumettre la dénonciation des contrats à l’approbation des associés
L’auteur du pourvoi invoquait également le fait que la cour d’appel n’aurait pas démontré en quoi la modification de l’article 15 des statuts, qui aurait consisté à donner aux gérants le pouvoir de modifier l’enseigne du fonds sans requérir l’autorisation des associés à la majorité des trois quarts, était indispensable à la survie de la société (critère classique de l’abus de minorité). La Cour estime cependant que cette modification était bien indispensable à la survie de la société puisqu’elle permettait d’effectuer la modification de l’objet social, nécessaire à la poursuite de l’activité, en levant l’obstacle de la minorité de blocage détenue par la société filiale du groupe de distribution.
Enfin, l’associé minoritaire contestait avoir été animé par l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de la collectivité des associés et estimait que la dénonciation des contrats d’approvisionnement et de franchise dépassait les pouvoirs des gérants. La Cour de cassation est sensible à ce dernier argument. Au visa des articles L. 223-30 (al. 2) du code de commerce et 1833 (al. 1) du code civil, elle estime que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en nommant un mandataire ad hoc pour se prononcer sur la modification de l’objet social alors qu’elle avait retenu que la dénonciation des contrats conduisait à la nécessité de modifier l’objet social, ce dont il résultait qu’elle échappait à la compétence des gérants.
On comprend en filigrane que la combinaison, d’une part, de la clause limitant l’objet social à l’exploitation d’une seule enseigne et, d’autre part, de celle subordonnant à une autorisation des associés le changement d’enseigne imposait de soumettre la dénonciation des contrats à l’approbation des associés selon la procédure de l’article 15 des statuts puisqu’elle induisait une modification de l’objet social. Le raisonnement de la Cour de cassation laisse alors percevoir qu’aurait dû être respecté un ordre précis : l’autorisation de la dénonciation des contrats par les associés en vertu de l’article 15, puis la modification des statuts et la dénonciation effective des contrats.
Enfin, la solution de la Cour de cassation laisse en suspens une question : l’abus de minorité peut-il offrir une issue pour les sociétés en franchise participative ? Si les gérants avaient respecté la procédure et d’abord demandé aux associés de voter la dénonciation des contrats, un abus de minorité aurait-il pu être utilement invoqué par les majoritaires en cas d’opposition du minoritaire ? Vraisemblablement, le critère de la rupture d’égalité nécessaire à l’abus de minorité aurait pu être caractérisé. Quant à l’autre critère, l’affirmation selon laquelle « le refus […] de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société » laisse espérer que la Cour pourrait retenir l’existence d’un abus de minorité en cas d’opposition à la dénonciation d’un contrat empêchant la modification de l’objet social dans le seul intérêt du minoritaire. Toutefois, l’opposition du minoritaire à la dénonciation des contrats devra alors être examinée par les juges au regard de l’opportunité de mettre fin à ceux-ci par rapport à l’intérêt de la société. L’arrêt laisse ainsi une lueur d’espoir pour les sociétés franchisées en franchise participative mais à la condition que la poursuite des contrats d’approvisionnement et de franchise nuise à l’intérêt général de la société.