Actualité
4 min de lecture
30 avril 2024
Le risque de tierce-complicité peut peser sur le cessionnaire d’un fonds de commerce qui ne reprend pas les contrats de distribution dont il a connaissance.

Par un accord de distribution signé le 10 octobre 2016, la société Les laboratoires de Biarritz avait accordé à la société Bleu vert le droit de distribuer ses produits sur le territoire national métropolitain et ultra-marin pendant cinq ans. Or, la société Les laboratoires de Biarritz a cédé son fonds de commerce à une société belge Laboratoires de Biarritz international, sans que l'acte de cession du fonds de commerce ne mentionne le contrat de distribution litigieux. Après la cession du fonds, des négociations ont eu lieu entre la société belge Laboratoires de Biarritz international et  la société Bleu vert en vue de conclure un nouveau contrat de distribution, mais elles n’ont pas abouti. 

La Cour de cassation par arrêt du 19 octobre 2022 (Cass. com., 19 oct. 2022, n° 21-16.169, J.-B. Gouache et M. Behar-Touchais, Actualité de la franchise 2022, Cont. Conc. consom. 1er févr. 2023, n°45) avait approuvé la cour d'appel d’avoir retenu que le contrat de distribution signé le 10 octobre 2016 n'était pas inclus dans la cession du fonds de commerce intervenue au profit de la société Laboratoires de Biarritz international (LBI), car « La cession d'un fonds de commerce comprenant la cession de la propriété des droits sur des marques n'emporte pas cession du contrat de distribution exclusive des produits revêtus de ces marques ».

Mais la société Bleu vert, dont le contrat de distribution exclusive ne pouvait plus être exécuté par la société Les laboratoires de Biarritz (LDB), qui engageait à ce titre sa responsabilité contractuelle, invoquait la tierce-complicité de la société belge Laboratoires de Biarritz international (LBI). La cour d’appel avait refusé de faire droit à cette demande. Son arrêt avait été cassé sur ce point par l’arrêt du 19 octobre 2022 aux motifs suivants: « Vu les articles 1200 et 1240 du code civil: Il résulte de ces textes que le tiers à un contrat qui se rend complice de la violation par une partie de ses obligations contractuelles engage sa responsabilité délictuelle. (…) En se déterminant ainsi, sans rechercher si la société Laboratoires de Biarritz international n'avait pas connaissance, lors de l'acquisition du fonds de commerce, de l'accord de distribution exclusive conclu par la société Les laboratoires de Biarritz et si elle ne s'était pas sciemment rendue complice de l'inexécution de cet accord par la société Les laboratoires de Biarritz, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ». 

Cet arrêt faisait craindre que le cessionnaire n’ait plus le choix de reprendre ou non les contrats de distribution dont il avait connaissance. S’il ne les reprenait pas, tout en connaissant leur existence, sa responsabilité délictuelle pourrait être engagée. 

L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Paris, qui statue par l’arrêt commenté du 22 février 2024.

Après avoir écarté l’article L. 442-6 du code de commerce, étranger au présent litige, la cour relève que la société LBI reconnaît avoir eu connaissance du contrat de distribution conclu par la société LDB avec la société Bleu vert.

Mais l’arrêt semble ensuite justifier la responsabilité délictuelle de LBI par des éléments propres à l’espèce : LBI aurait laissé penser à Bleu Vert qu’elle poursuivrait l’exécution du contrat, en acceptant et en livrant deux commandes postérieurement à la cession du fonds de commerce ; mais en cours de négociation du nouveau contrat de distribution, LBI aurait informé Bleu Vert qu’elle n’accepterait plus aucune commande.

La cour déduit en outre de différents courriels que LBI et LDB auraient agi de concert et avec déloyauté à l’égard de la société Bleu Vert. Cette concertation résulterait d’une part pour LDB d’avoir vendu son fonds de commerce sans transmettre le contrat de distribution se mettant ainsi dans l’impossibilité de l’exécuter, et pour LBI d’avoir accepté d’acquérir le fonds de commerce sans le contrat de distribution, cette cession étant de nature à empêcher l’exécution du contrat. Ce motif pourrait s’appliquer à toute cession de fonds de commerce sans transfert du contrat de distribution, sauf si le distributeur est indemnisé au préalable. Mais la cour ajoute d’autre part que LBI et LDB se seraient concertés pour refuser au même moment tout approvisionnement de la société Bleu Vert, « afin que la société LBI puisse proposer un référencement direct aux clients revendeurs qui ne fournissaient auparavant auprès de la société Bleu Vert ».

Même si cet arrêt semble justifier la responsabilité délictuelle du cessionnaire du fonds qui ne reprend pas le contrat de distribution dont il a connaissance, par des actes de déloyauté supplémentaires spécifiques à l’espèce, cela n’écarte pas le risque qui résultait de l’arrêt de la Cour de cassation précité du 19 octobre 2022, et dont la motivation était plus générale. Si cela est possible, mieux vaut donc que l’indemnisation du distributeur par le cédant soit un préalable à la cession du fonds, pour éviter tout risque de tierce-complicité. 

ChatGPT, révolution ou gadget technologique sans intérêt ?

Retrouvez dans cet article l'analyse de 2 spécialistes, Guillaume Jagerschmidt, avocat en droit des nouvelles technologies et Zacharie Laïk. avocat au barreau de New York, sur l’impact de l’utilisation de ChatGPT pour le métier des avocats en 2 points : pour une utilisation raisonnée de ChatGPT et faire monter les exigences et les compétences des juristes

Jean-Baptiste Gouache, Avocat à la cour d'appel de Paris
Documents et liens associés
Aller plus loin
Revue de jurisprudence de droit des affaires
Un résumé des décisions essentielles du mois, des chroniques assurées par des spécialistes du droit des affaires...
738,18 € TTC/an
Revue de jurisprudence de droit des affaires