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24 octobre 2023
Le scope 3 comprend toutes les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités d'une organisation, contrairement au scope 1 qui se limite aux émissions directes et au scope 2 qui compte les émissions indirectes liées à l'énergie. Pour décarboner la filière industrielle, des actions sont à mener sur tout l'écosystème des entreprises, et notamment sur l'achat de produits et services, le transport de marchandises, les déplacements professionnels, etc.

Au niveau européen, l’objectif climatique est de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030. Pour la France, sa trajectoire consiste à diviser par deux ses émissions industrielles dans les dix prochaines années (et à atteindre Zéro émission nette en 2050).

En fonction des filières industrielles, les stratégies de décarbonation ne sont pas les mêmes. A l’occasion d’une table ronde au salon Produrable, qui s’est tenu les 12 et 13 septembre derniers à Paris, plusieurs acteurs de l’industrie ont livré leurs retours d’expérience sur le sujet, les mesures qu’ils ont déployées et les freins qu’ils ont rencontrés. 

Méthode des quatre « i »

Afin de transformer en profondeur les modes de production pour la décarbonation des activités industrielles, il est important de travailler avec la chaîne de valeur.

 Au sein du groupe Royal Canin, spécialiste de l’alimentation pour les chiens et les chats, Cécile Coutens, PDG Monde, a souligné « l’enjeu d’ordre planétaire, l’enjeu de raison d’être, l’enjeu de compétitivité » que revêt la décarbonation de l’industrie. Les émissions du groupe proviennent à 65 % des matières premières et à 15 % du transport. C’est dans ce contexte que Royal Canin s’est engagé dans un objectif ambitieux de neutralité carbone du groupe d’ici 2025.

 Pour y parvenir et mobiliser l’ensemble de ses collaborateurs, Royal Canin a mis en place la méthode des quatre « i » :

  • l’intégration, en ajoutant la problématique de décarbonation de l’industrie dans les stratégies, les processus et les mesures (ex. : compte d’exploitation ajusté au carbone) ;
  • l’innovation, à intégrer dans les mœurs de l’entreprise, dans ses façons de faire ;
  • l’immersion, en investissant dans l’éducation sur les enjeux de la durabilité, par exemple en amenant ses salariés dans une exploitation d’agriculture régénérative pour comprendre le fonctionnement ;
  • le « I » (« Je » en anglais), qui consiste à comprendre la science, à étudier et à s’appuyer sur les experts qui existent.

Concrètement, l’application de cette méthode a permis à Royal Canin d’optimiser ses formules afin de réduire leur impact carbone. Cela a été possible grâce à la connaissance de l’empreinte carbone de chaque ingrédient. Un travail a également été mené pour qualifier de nouveaux ingrédients et changer leur mode de production afin d’avoir des ingrédients bas carbone. Enfin, au niveau européen, le groupe est passé, en cinq ans, de 5 à 250 agriculteurs qui pratiquent l’agriculture régénérative.

Remarque : l’agriculture régénérative, ou agriculture régénératrice, comprend l’ensemble des pratiques agronomiques qui visent à restaurer la qualité des sols agricoles grâce aux méthodes de culture et d’élevage raisonnées.

Acteur du dernier kilomètre décarboné 

Outre le secteur agroalimentaire, l’activité de transport est aussi à l’origine d’émissions de GES notables (32 % des émissions totales de la France) et doit faire l’objet d’une refonte complète en vue de sa décarbonation.

Dans le groupe La Poste, les transports représentent la part d’émissions la plus importante (90 % du scope 3). Dans le but d’améliorer l’empreinte environnementale de l’entreprise, Benjamin Garcia, responsable environnement service relais colis, indique que « deux axes de réduction ont été déployés ».

Le premier concerne le dernier kilomètre. Pour cela, l’électrification du parc de véhicules, et notamment des vélocargos, a débuté en 2006. Aujourd’hui 30 % du total fonctionne à l’électrique et l’objectif est d’atteindre les 80 % d’ici 2030 afin de « faire de La Poste le premier acteur du dernier kilomètre décarboné ».

Remarque : La Poste met en place un nouveau service d’aide à la personne lors de ses tournées qui permet de livrer le courrier et en même temps, de s’assurer que la personne va bien et donc de diminuer le carburant nécessaire pour ces deux opérations.

Second axe de décarbonation au sein du groupe, celui sur le transport longue distance. Il s’avère « plus complexe mais avec une ambition forte et un objectif de 50 % de transport longue distance bas carbone d’ici 2030 ».

Autre action, La Poste a organisé une journée rassemblant tous les membres du Comex (Comité exécutif) pour se pencher sur la question « A quoi ressemblerait La Poste dans une France neutre en carbone en 2050 ? ». Ce travail a été réalisé selon les quatre scénarios prospectifs de l’Ademe (voir notre actualité du 7 décembre 2021 « L’ADEME dévoile 4 scénarios pour la neutralité carbone en 2050 »). A titre d’exemple, le groupe de travail a réfléchi sur la possibilité que La Poste devienne productrice d’énergies.

Comité consultatif sur le développement durable

Si aucune action n’avait été menée, 50 % des terres productrices de café auraient dû disparaître d’ici 2050. C’est le triste constat qu’a fait le groupe Nespresso et qui lui a permis de prendre conscience de la nécessité d’agir rapidement afin d’assurer sa pérennité.

D’après Clémence Nutini, responsable développement durable chez Nespresso, l’Analyse de cycle de vie (ACV) d’une tasse de café a révélé que « la fin de vie (déchet/recyclage) représente seulement 2 % de l’empreinte carbone alors que l’impact le plus important vient de l’agriculture ». Afin de le réduire, de longues démarches ont été enclenchées par le groupe depuis 20 ans avec les 150 000 caféiculteurs répartis dans 18 pays.

En addition à l’agriculture régénérative, Nespresso a mis en place, depuis une dizaine d’années, une instance qui regroupe toutes les parties prenantes au niveau international : « The Nespresso Sustainability Advisory Board » (NSAB - Comité consultatif sur le développement durable de Nespresso). Cette entité est une cellule pour challenger toutes les décisions stratégiques de Nespresso, toujours dans une vision d’amélioration continue. Elle regroupe notamment B Corp (certification sociétale et environnementale), Georges Clooney (ambassadeur de la marque), Reforest’Action, etc. 

Concernant les capsules en aluminium de la marque, cela a été compliqué pour qu’elles deviennent recyclables. Nespresso a dû faire face à de nombreux problèmes techniques et financiers dans le déploiement de cette innovation. Le processus a demandé plus de trois ans de recherche et développement et le changement complet des lignes de production.

Transition vers une agriculture régénérative

Des groupes tels que Nespresso ou Royal Canin ont recours à l’agriculture régénérative, qui s’oppose à l’agriculture extractive, pour accélérer leur décarbonation. L’entreprise à mission Soil Capital agit en ce sens en accompagnant les agriculteurs dans leur transition vers une agriculture régénérative et en mesurant et en certifiant leur impact carbone. Pour Chuck De Liedekerke, CEO de Soil Capital, le recours à l’agriculture régénérative « aide les entreprises de l’agroalimentaire à réduire les émissions de leur scope 3 ».

Selon lui, l’agriculture régénérative réduit le travail du sol, augmente la surface sous couvert des végétaux, substitut des intrants de synthèse par des intrants organiques et développe l’agroforesterie.

Remarque : l’agroforesterie est un mode d’exploitation des terres agricoles qui associe des arbres et des cultures ou de l’élevage afin d’obtenir des produits ou services utiles à l’homme.

Selon Chuck De Liedekerke, « l’opportunité économique de l’agriculture régénérative est beaucoup plus importante que le revenu du carbone ». De plus, « l’agriculture régénérative peut se développer à grande échelle ».

Laura Guegan