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18 juillet 2024
La réponse n'est pas si simple que cela. Explications avec Les Surligneurs.

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« Mettre fin aux traités de libre-échange » de l’UE. C’est ce que prévoyait le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) pour les élections législatives. L’intention semble être non seulement de bloquer la conclusion de futurs accords, mais aussi de rompre avec ceux que l’Union a déjà signés. Cette seconde idée bien plus radicale était d’ailleurs ouvertement défendue par les Insoumis et les Verts lors des élections européennes. A ce jour, l’UE a conclu 42 de ces accords de libre-échange qui la lient avec 74 États partenaires, répartis sur l’ensemble des cinq continents. Leur objectif principal est d’encourager les échanges commerciaux en abaissant les droits de douane. Alors, la France pourrait-elle réellement en sortir ?

Deux types d’accords de libre-échange

Il faut d’emblée distinguer deux types d’accord qui appellent chacun une réponse différente. D’un côté, il y a ceux signés et ratifiés par l’UE seule, au nom des États membres ; la politique commerciale commune est en effet une compétence exclusive de l’Union, consacrée à l’article 207 TFUE.

De l’autre, il y a les accords de libre-échange signés et ratifiés non plus seulement par l’UE, mais également par chacun des vingt-sept États membres en leur nom propre. La raison : ce deuxième type d’accords, dits « mixtes », comporte des dispositions allant au-delà de la seule politique commerciale - ils concernent aussi, typiquement, la sphère des investissements où certaines compétences sont partagées entre l’UE et ses pays membres. 

Une sortie unilatérale des accords conclus par l’UE difficile en pratique

Sortir de la première catégorie d’accords de libre-échange (ALE) - signés par l’UE seule - parmi lesquels on trouve par exemple ceux conclus avec Singapour et le Japon (en vigueur depuis 2019) ou le Vietnam (2020), est théoriquement envisageable mais politiquement très délicat. « Vu que ces ALE ont été conclus par l’Union, la France ne peut pas les dénoncer ou les suspendre seule, cela doit être une décision de l’UE au titre de l’article 218 TFUE », pose Alan Hervé, professeur de droit public et directeur du master Europe et Affaires mondiales à Sciences Po Rennes. Il faudrait d’abord que la Commission européenne le propose, puis que le Conseil de l’UE approuve à la majorité qualifiée (15 États membres représentant au moins 65% de la population de l’Union).

La France est certes très influente à Bruxelles, mais une telle idée serait aujourd’hui largement minoritaire à la table des Vingt-Sept. Resterait pour Paris l’option très radicale de refuser unilatéralement de respecter un accord - ne pas appliquer les droits de douane réduits qu’il prévoit par exemple. Cela reviendrait, de fait, à rompre avec l’union douanière créée en 1968 - l’un des fondements de l’intégration européenne. « Ce serait l’équivalent d’un rejet du droit européen, et on basculerait alors dans un scénario de conflit direct avec l’Union », confirme Alan Hervé, s’exposant alors à des recours et des amendes.

Une sortie unilatérale d’un accord mixte qui pourrait faire tomber tout l’accord

Les États membres ont en principe bien plus de marge de manœuvre au sujet des accords mixtes : « on ne peut pas forcer un État à rester dans un accord mixte par définition car celui-ci relève de compétences partagées, tranche Alan Hervé. Mais c’est pour le moment un cas théorique qui ne serait pas sans difficulté sur le plan juridique », poursuit ce juriste spécialiste de la politique commerciale de l’UE. La situation ne s’est en effet jusque-là pas présentée. Mais de la même manière que la conclusion des ALE mixtes requiert la ratification des différents parlements nationaux, un rejet ultérieur de l’un de ces parlements est susceptible d’y mettre fin.

Un cas assez spécifique d’accord mixte est celui du CETA, le fameux accord de libre-échange entre l’UE et le Canada - que le NFP et le Rassemblement national aimeraient d’ailleurs rejeter. Lors de sa conclusion en 2017, les co-législateurs de l’UE ont décidé de l’entrée en vigueur à titre provisoire de la partie relevant de la compétence exclusive de l’UE, en attendant sa ratification par les États et son application complète ; dans une déclaration politique annexe, ils se sont engagés à ce que, en cas de rejet par l’un des parlements, l’UE y mette un terme.

Concrètement, si l’Assemblée nationale française le rejetait - à la suite du Sénat le 21 mars dernier - ladite déclaration suggère que la Commission européenne devrait alors faire une proposition visant à dénoncer le CETA, ce que le Conseil de l’UE aurait ensuite à confirmer à la majorité qualifiée. Mais difficile de dire ce qu’il adviendrait si la Commission ou les partenaires de la France ne se pliaient finalement pas à son choix. 

Des incertitudes qui persistent depuis le traité de Lisbonne

S’ajoute une dernière ambiguïté d’ordre plus général : dans un article académique paru en 2021 dans le Journal of World Trade, trois universitaires notaient que « pratiquement tous les accords commerciaux de l’UE ont été négociés en tant qu’accords mixtes ». Pour autant, faut-il en conclure que tous pourraient potentiellement être rejetés par un seul État membre ? Pas nécessairement, car les compétences de l’UE ont évolué dans le temps.

En 2007, le traité de Lisbonne a sensiblement élargi les pouvoirs de l’UE dans le domaine commercial ; en 2017 l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’UE a ensuite précisé le champ de la compétence exclusive de l’Union. Celle-ci va désormais bien au-delà de la politique commerciale initialement définie : des accords commerciaux non mixtes peuvent depuis toucher à la libéralisation des services, aux marchés publics, à la propriété intellectuelle, etc.

Dès lors, un pays membre serait-il en mesure de dénoncer seul un ancien accord négocié comme mixte au titre du partage des compétences de l’époque, mais qui, aujourd’hui, ne traite que de domaines où la compétence de l’UE est devenue exclusive ? Là non plus, la situation ne s’est jamais présentée.

A minima le NFP ou tout autre parti au pouvoir serait probablement en mesure de bloquer les projets d’accords futurs, mixtes ou non. En théorie, les décisions de lancer des négociations commerciales, ou de les conclure, doivent être prises à la majorité qualifiée. En pratique, les Vingt-Sept décident systématiquement par consensus. Et politiquement, il paraît assez peu probable de voir ses partenaires européens faire fi des réticences de la France.

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Clément Solal, journaliste Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur au laboratoire VIP