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31 décembre 2024
Les parties à la Convention n'ont pu adopter de texte contraignant sur la sécheresse mais se sont néanmoins engagés à donner la priorité à la restauration des terres et à la résilience à la sécheresse dans les politiques nationales et la coopération internationale.

Issue du sommet de la Terre de Rio (1992), comme les deux autres conventions sur le climat et la biodiversité, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) traite de la dégradation des terres en zones sèches, et non de l’avancée des déserts comme son nom pourrait l’indiquer. La dégradation des terres en zone sèche est indissociable des crises climatique (hausse des émissions de CO2 qui n’est plus stocké dans les sols) et environnementale (perte de biodiversité). La 16e conférence des Parties de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) a eu lieu du 2 au 14 décembre 2024 à Riyad, en Arabie saoudite. La COP16 abordait cette année aborder les thématiques des sécheresses, de la restauration des terres et des tempêtes de sable et de poussière, ainsi que des sujets transversaux : pratiques agricoles, régimes fonciers, genre et migration. Malgré l'urgence et l’aggravation de la désertification et la sécheresse, largement soulignée par plusieurs rapports, la COP a échoué à adopter un protocole international contraignant de résilience à la sécheresse. Le sujet a néanmoins fait l'objet d'une prise de conscience qui s'est traduite par plusieurs avancées nd'importance variable.

Première évaluation mondiale de la désertification

Un phénomène en augmentation constante

Pour la première fois, la crise de l'aridité a été documentée par une étude de la Convention révélant une menace existentielle affectant des milliards de personnes dans le monde. Le rapport "The global threat of drying lands - la menace mondiale d'assèchement des terre - indique que le changement climatique d'origine humaine est le principal moteur de cette évolution. Les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production d'électricité, des transports, de l'industrie et des changements d'affectation des sols réchauffent la planète et affectent les précipitations, l'évaporation et la vie végétale, créant ainsi les conditions qui favorisent l'aridité. Le rapport constate que l'augmentation de l'aridité menace les populations et l'environnement dans presque toutes les régions du monde. Plus des trois quarts des terres émergées (77,6 %) ont connu un climat plus sec au cours des trois décennies précédant 2020, par rapport à la période précédente de 30 ans. Les zones arides mondiales se sont étendues d'environ 4,3 millions de km², soit une superficie équivalente à la moitié du continent australien/océanique, pour couvrir désormais 40,6 % des terres émergées (sans compter l'Antarctique). Ces dernières décennies, environ 7,6 % des terres mondiales – une superficie plus grande que le Canada – ont franchi les seuils de l'aridité (c'est-à-dire des terres non arides devenues arides, ou des classes de terres arides moins sèches devenues plus sèches). Si le monde ne parvient pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre, 3 % supplémentaires des zones humides de la planète devraient se transformer en zones arides d'ici la fin du siècle.

Remarque : les zones particulièrement touchées par cette tendance à la dessiccation comprennent presque toute l’Europe (95,9 % de ses terres), certaines parties de l’ouest des États-Unis, du Brésil, de l’Asie (notamment l’Asie de l’Est) et de l’Afrique centrale :

  • parties de l’ouest des États-Unis et du Brésil : tendance marquée à la dessiccation, avec des pénuries d’eau et des incendies de forêt devenant des menaces permanentes ;
  • Méditerranée et Sud de l’Europe : autrefois considérées comme des greniers agricoles, ces régions font face à un avenir sombre à mesure que les conditions semi-arides s’étendent ;
  • Afrique centrale et certaines parties de l’Asie : des zones biologiquement très diverses subissent la dégradation des écosystèmes et la désertification, mettant en danger d’innombrables espèces.

Entre-temps, le nombre de personnes vivant dans des zones arides a doublé au cours des trois dernières décennies pour atteindre 2,3 milliards, soit plus d'un quart de la population mondiale, et les modèles suggèrent que jusqu'à 5 milliards de personnes pourraient vivre dans des zones arides d'ici 2100 dans le pire des scénarios de changement climatique. Ces milliards de personnes voient leur vie et leurs moyens de subsistance encore plus menacés par l'augmentation de l'aridification et de la désertification liées au climat.

La salinisation des sols : l'autre menace

 Le rapport sur l’état mondial des sols touchés par la salinisation, piloté par la FAO et l'ONU et présenté le 11 décembre 2024, lors du forum international sur les sols et l’eau, qui vise à lutter contre la pénurie d’eau et la dégradation des sols, est la première grande évaluation portant sur ce problème depuis 50 ans. Il donne une nouvelle estimation sur les sols touchés par la salinisation dans le monde et contient un grand nombre d’idées novatrices et d’approches durables pour résoudre le problème posé par les sols salins.  Selon ce rapport, 10,7 % des terres seraient touchées par le phénomène de salinisation, soit 1,3 milliards d'hectares de terres.  Il estime en outre que 10 % des terres cultivées irriguées et 10 % des terres cultivées pluviales sont affectées par la salinité, bien que l'incertitude reste élevée en raison de la disponibilité limitée des données. Aujourd'hui, dix pays (Afghanistan, Australie, Argentine, Chine, Kazakhstan, Fédération de Russie, États-Unis, Iran, Soudan et Ouzbékistan) représentent 70 % des sols affectés par le sel dans le monde. Le phénomène est en croissance selon les experts - un précédent rapport publié en 2021 l'estimait à 1 Mds d'hectares, soit 8,7 % de sols - et nécessite des actions d'ampleur pour réduire la salinisation induite par les activités humaines et mieux s'adapter à la nouvelle donne. Les modèles d'évolution de l'aridité au niveau mondial indiquent que, compte tenu de la tendance actuelle à l'augmentation des températures, la zone touchée pourrait représenter entre 24 et 32 % de la surface totale des terres. La majeure partie de l'aridité devrait se produire dans les pays en développement. Dans les 10 % du monde où la salinisation est avancée, celle-ci a des conséquences directes sur l’agriculture et l’alimentation, avec des pertes allant jusqu’à 70 % des récoltes, notamment pour le riz, les haricots, la canne à sucre ou la pomme de terre. Sur ces terres, les plantes non adaptées flétrissent comme en pleine sécheresse. Les causes de la salinisation sont souvent la conséquences d'activités humaines : déforestation, mauvais usage de l'irrigation (multipliée par six au cours du siècle dernier et contribuant à la salinisation des eaux souterraines en raison de la surexploitation des aquifères), pompages, fertilisants, salage des routes...). De nombreuses stratégies permettent cependant de réduire cette salinisation (drainage et paillage des sols, rotation des cultures, ajout de gypse) ou de s’y adapter, en cultivant des plantes plus tolérantes au sel. Dans les vertisols d’Inde, des sols très argileux et salés, la Salvadora persica, une plante médicinale, mais aussi l’aneth ou le blé ont ainsi été identifiés comme des plantes résistantes et pouvant fournir de bons revenus aux agriculteurs.

 

Des mesures d'adaptation nécessaires

Le rapport affirme que des mesures d'adaptation durables sont essentielles pour faire face aux défis croissants du changement climatique et de l'aridité. Parallèlement aux efforts d'atténuation en cours, ces mesures vont de vastes initiatives à grande échelle offrant de multiples avantages connexes à des approches plus locales axées sur les communautés marginalisées, manquant de ressources, sous-représentées, vulnérables et involontairement immobiles. Le rapport plaide en faveur d'approches d'adaptation sectorielles liées à l'agriculture durable et à la gestion de l'eau, ainsi qu'en faveur de l'éducation, de la sensibilisation et de la gouvernance de l'aridité et des réponses à l'aridité. Les actions proposées aux décideurs politiques présentent une approche à multiples facettes préconisant une surveillance accrue, des pratiques d'adaptation durables, une planification fondée sur des données probantes et des stratégies efficaces d'adaptation à la dégradation irréversible des sols. Le rapport met en évidence des pratiques d'adaptation efficaces et durables pour l'aridité, ainsi que des recommandations pour des cadres complets de suivi et de rapport, des plans sectoriels intégrés, des programmes de renforcement des capacités et des incitations politiques liées à des indicateurs de performance. Des cadres de gouvernance pour répondre à l'aridité, basés sur des partenariats à plusieurs échelles et multisectoriels, sont suggérés pour améliorer la sensibilisation du public, la résilience, le renforcement des capacités et l'utilisation des technologies pour la réduction des risques et l'adaptation à l'aridité, en encourageant la collaboration internationale et l'alignement sur les initiatives existantes. 

L'atlas mondial des sécheresses révèle un risque méconnu mais inquiétant 

Alors que les sécheresses records deviennent une nouvelle norme dans le monde, la Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la Désertification (CNULCD) et le Centre Commun de Recherche (CCR) de la Commission européenne ont publié la publication mondiale la plus complète sur les risques liés aux sécheresses et les solutions possibles. 

L’Atlas mondial des sécheresses décrit ainsi la nature systémique des risques de sécheresse. À travers des dizaines de cartes, d’infographies et d’études de cas, il montre comment les risques de sécheresse sont interconnectés dans des secteurs tels que l’énergie, l’agriculture, le transport fluvial et le commerce international, et comment ils peuvent déclencher des effets en cascade, exacerbant les inégalités et les conflits, tout en menaçant la santé publique. 

Selon ce document, les sécheresses ont augmenté de 29 % depuis l'an 2000, en raison du changement climatique et de la gestion non durable des terres et des ressources en eau. Les sécheresses figurent parmi les catastrophes les plus coûteuses et meurtrières au monde et devraient affecter trois personnes sur quatre d’ici 2050. Cependant, de nombreux pays et secteurs échouent encore à se préparer adéquatement, faute d’actions, de politiques, d’investissements et d’incitations appropriés.

 L’Atlas souligne la nécessité de plans nationaux de gestion des sécheresses et d’une coopération internationale pour maintenir les communautés, les économies et les écosystèmes à flot face à des événements plus sévères. Il offre également des orientations pour une gestion proactive et prospective des sécheresses, avec des solutions adaptées à divers secteurs et niveaux de gouvernance. 

Les impacts des sécheresses sont généralement moins visibles et attirent moins l’attention que les événements soudains tels que les inondations ou les tremblements de terre. Cela est particulièrement vrai pour les effets sur les écosystèmes, souvent négligés dans les plans nationaux de sécheresse, malgré leurs impacts dévastateurs sur les économies et les communautés. Cependant, les sécheresses à déclenchement rapide, connues sous le nom de « sécheresses éclair », les sécheresses plus intenses — ainsi que leurs impacts plus apparents — deviennent également monnaie courante.

 Résultats de la COP

Après deux semaines de négociations intenses sur la manière de lutter contre la dégradation des terres, la désertification et la sécheresse, les parties à la Convention ne sont pas parvenue à s'entendre sur un protocole international contraignant de résilience à la sécheresse. Les quelque 200 pays se sont néanmoins engagés à donner la priorité à la restauration des terres et à la résilience à la sécheresse dans les politiques nationales et la coopération internationale, en tant que stratégie essentielle pour la sécurité alimentaire et l’adaptation au changement climatique. L'objectif est d'éviter, réduire et inverser la dégradation des terres et des sols agricoles, en mettant en œuvre des solutions fondées sur la nature. La COP16 a souligné que les systèmes alimentaires mondiaux sont victimes de la dégradation des sols (52 % des surfaces agricoles sont dégradées), alors qu’ils en sont en même temps l’une des principales causes. Les pays ont également réalisé des progrès significatifs dans la préparation d’un futur régime mondial de lutte contre la sécheresse, qu’ils prévoient d’achever lors de la COP17 en Mongolie en 2026. Dans le même temps, plus de 12 milliards de dollars ont été promis pour lutter contre la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse dans le monde, en particulier dans les pays les plus vulnérables. Cette somme paraît cependant dérisoire : les experts estiment que 2 600 milliards de dollars sont nécessaires d'ici 2030 pour restaurer plus d'un milliard de terres et renforcer la résilience à la sécheresse. Cela équivaut à 1 milliard de dollars d’investissements quotidiens d’ici 2030 pour atteindre les objectifs mondiaux de restauration des terres et lutter contre la désertification et la sécheresse. 

Parmi les principaux accords conclus lors de la COP16 figurent également : 

  • la création d'un Caucus pour les peuples autochtones et d'un Caucus pour les communautés locales afin de garantir que leurs perspectives et défis uniques soient représentés de manière adéquate. L'objectif est de garantir que leurs perspectives et priorités uniques soient représentées de manière adéquate dans les travaux de la Convention ; 
  • la poursuite de l'interface science-politique de la Convention pour renforcer la prise de décision fondée sur la science, créée lors de la COP11 en 2013 pour traduire les résultats scientifiques en recommandations à l'intention des décideurs ; 
  • la mobilisation de l'engagement du secteur privé dans le cadre de l' initiative Business4Land. Ce secteur ne contribue actuellement qu’à hauteur de 6 % au financement de la restauration des terres et de la résilience à la sécheresse.
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