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13 mars 2024
La Cour de cassation juge que les salariés de la branche de la manutention ferroviaire, dont le contrat de travail est transféré à un nouvel employeur en application du dispositif de garantie d'emploi prévu par la convention collective en cas de changement de titulaire d'un marché, ont droit au maintien du niveau de rémunération atteint avant leur transfert, y compris en présence d'une clause de substitution immédiate de statut collectif.

La seule perte d'un marché ne constituant pas une modification de la situation juridique de l'employeur et n'entrant donc pas dans le champ d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, plusieurs branches professionnelles ont conclu des accords collectifs visant à garantir et à organiser le transfert de tout ou partie des contrats de travail en cours en cas de perte d'un marché et de changement de titulaire. C'est le cas notamment de la branche de la manutention ferroviaire dont la convention collective (articles 15 ter et suivants, désormais repris à l'article 20) organise les modalités de transfert du personnel en cas de changement de titulaire de marché.

C'est dans le cadre de cette convention collective et en se fondant sur le droit européen que la Cour de cassation s'est prononcée, pour la première fois à notre connaissance, sur le sort de la rémunération des salariés dont le contrat est transféré chez un nouvel employeur en application du dispositif conventionnel susvisé.

Transfert de contrat en application de la convention collective

Selon l'article 15 ter de la convention collective de la manutention ferroviaire, au cas où, suite à la cessation d'un contrat commercial ou d'un marché public, en tout ou partie, et ce quel que soit le donneur d'ordre, une activité entrant dans le champ d'application de la présente convention collective serait attribuée à un titulaire distinct du titulaire antérieur, la continuité des contrats de travail existant au dernier jour du contrat commercial ou du marché précédent, des salariés non cadres (et désormais des cadres d'exploitation jusqu'au niveau 282,5) du premier employeur affectés à ladite activité depuis au moins 6 mois, sera assurée chez l'employeur entrant. A charge pour ce dernier, ajoute le texte, d'assurer les obligations légales et conventionnelles, notamment financières, en matière de gestion des effectifs et d'organisation du travail dans le cadre du nouveau contrat.

En application de ces dispositions, le contrat de travail d'un ouvrier nettoyeur, affecté au nettoyage des TGV de la SNCF, est transféré à une nouvelle entreprise après la reprise du marché par cette dernière. A la suite d'un différend avec son nouvel employeur sur le paiement d'une prime, le salarié saisit la juridiction prud'homale. Il estime en effet qu'il devait continuer, après le transfert de son contrat, à percevoir la prime prévue par un protocole de fin de grève conclu chez l'ancien employeur (protocole constitutif d'un accord collectif fixant le droit des salariés à percevoir la prime).

Substitution de statut collectif

Le nouvel employeur estime au contraire qu'il n'est pas tenu de verser cette prime aux salariés transférés en se fondant, non pas sur l'article 15 ter de la CCN, mais sur l'article 15 quater. Selon lui, en effet, si l'article 15 ter prévoit que l'entreprise entrante doit « assurer les obligations légales et conventionnelles, notamment financières, en matière de gestion des effectifs et d'organisation du travail dans le cadre du nouveau contrat », l'article 15 quater quant à lui précise que « le statut collectif de l'entreprise entrante se substituera de plein droit à celui de l'entreprise sortante dès le premier jour de la reprise du marché ». Pour le nouvel employeur, son propre statut collectif s'était donc substitué de plein droit, dès le premier jour du transfert, à celui de l'ancien employeur et donc à l'accord collectif prévoyant le versement de la prime de fin de conflit.

Obligation pour le cessionnaire de maintenir le niveau de rémunération

La Cour de cassation donne raison au salarié en se fondant sur les dispositions conventionnelles et sur la jurisprudence européenne. Après avoir rappelé les dispositions de la convention de branche, elle relève que la CJUE, dans un arrêt du 6 septembre 2011, a jugé que la mise en œuvre de la faculté consistant à remplacer, avec effet immédiat, les conditions dont bénéficient les travailleurs transférés en vertu de la convention collective en vigueur auprès du cédant par celles prévues par la convention collective en vigueur auprès du cessionnaire ne saurait avoir pour but ou pour effet d'imposer auxdits travailleurs des conditions globalement moins favorables que celles applicables avant le transfert. Elle a ajouté que s'il en était autrement, la réalisation de l'objectif poursuivi par la directive 77/187/CEE du Conseil du 14 février 1977 (concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements) pourrait facilement être mise en cause dans tout secteur régi par des conventions collectives, ce qui porterait atteinte à l'effet utile de ladite directive (CJUE, 6 sept. 2011, aff. C-108/10).

Pour la Cour de cassation, il en résulte que le transfert conventionnel effectué en application de l'article 15 ter de la CCN de la manutention ferroviaire, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 (qui a codifié la directive 77/187/CEE du 14 février 1977), impose à l'entreprise entrante de maintenir aux salariés qui en bénéficient le niveau de rémunération octroyé avant leur transfert, nonobstant l'existence d'une substitution immédiate de statut collectif, afin que ceux-ci ne soient pas placés, du seul fait du transfert, dans une position globalement défavorable par rapport à leur situation immédiatement antérieure au transfert.

En l'espèce, le nouvel employeur était donc tenu de maintenir la rémunération, prime litigieuse comprise, du salarié dès lors que ce dernier remplissait les conditions de transfert (statut et durée minimale d'affectation sur le marché) posées par la convention collective.

Même en présence d'une clause conventionnelle prévoyant que le statut collectif du nouvel employeur se substitue à celui du précédent employeur dès le premier jour de la reprise, le nouvel employeur peut ainsi se voir contraint de maintenir le versement d'une prime prévue par un accord collectif conclu chez l'ancien employeur au titre du principe, clairement énoncé dans l'arrêt ici commenté, du droit au maintien du niveau de rémunération atteint avant le transfert.

Une solution transposable ?

Cet arrêt, certes rendu à propos de la convention collective de la manutention ferroviaire, a selon nous une portée plus générale. La solution ici dégagée a, à notre sens, vocation à s'appliquer à toutes les branches disposant d'un dispositif de garantie d'emploi en cas de changement de prestataire, y compris lorsque ce dispositif prévoit l'application du statut collectif du cessionnaire, en lieu et place de celui du cédant, dès le premier jour de la reprise. Tel est le cas notamment des branches suivantes : hôtels, cafés, restaurants ; propreté ; prévention et sécurité ; restauration de collectivités ; transport aérien (personnel au sol) ; transports de fonds et de valeurs ; transports routiers (pour le transport interurbain de voyageurs).

Par cet arrêt, la Cour de cassation offre aux salariés dont le contrat est transféré en application d'un dispositif conventionnel une garantie de maintien de leur rémunération antérieure semblable à celle prévue par la loi pour les salariés dont le contrat est transféré en application de l'article L. 1224-1 du code du travail (modification de la situation juridique de l'employeur notamment par succession, vente, fusion...) en l'absence d'accord de substitution (C. trav., art. L. 2261-14)

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