Actualité
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23 janvier 2025
Nous vous présentons des illustrations jurisprudentielles publiées au cours des 12 derniers mois sur la qualification juridique des temps de trajet, de pause, et d’habillage/déshabillage. L’enjeu est important du fait des incidences financières et du respect des durées maximales de travail.

Certains temps de travail, autres que le temps de travail effectif stricto sensu, peuvent tout de même être qualifiés comme tels. Il s’agit de temps où le salarié n’est pas à son poste de travail mais qui ne relèvent pas, pour autant, de sa vie personnelle : temps de trajet de son domicile à son lieu de travail, temps d’habillage et de déshabillage de sa tenue de travail, temps de pause sur ou près du lieu de travail. Selon les circonstances, ces temps pourront être qualifiés de temps de travail.

Quelles sont les conséquences d’une telle requalification ? Tout d’abord, ces temps peuvent faire l’objet de rappels de salaire, le cas échéant, de paiement d’heures supplémentaires si ces temps entraînent un dépassement des 35 heures hebdomadaires et le paiement des congés payés afférents. Par ailleurs, cette requalification peut conduire à une condamnation de l’employeur pour non-respect des durées maximales de travail ou temps de repos minimaux.

Temps de trajet

Contexte juridique

En principe, le temps de trajet pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas considéré comme du temps de travail effectif (C. trav., art. L. 3121-4). Ce temps de trajet ouvre droit, toutefois, à une contrepartie en repos ou financière s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail (C. trav., art. L. 3121-4, al. 2).

Il en va différemment, si le salarié, durant son déplacement, reste à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles : ce temps de trajet est requalifié en temps de travail effectif, par application de l'article L. 3121-1. Cette solution issue de la jurisprudence de la Cour de cassation résulte de la position de la CJUE qui, en application de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, adopte une vision binaire et inflexible du temps de travail : temps de travail ou temps de repos (CJUE, 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19) : voir l'étude « Durée du travail » du Dictionnaire permanent social.

Remarque

à noter qu'il existe une réglementation particulière des temps de trajet dans le secteur du transport routier : les critères de qualification du temps de trajet en temps de travail effectif sont spécifiques. C’est l’article 9.2 du règlement 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 qui s’applique. Ainsi le temps consacré par un conducteur pour se rendre sur le lieu où il doit prendre en charge un véhicule, ou pour en revenir, n'est pas considéré comme du temps de repos ou de pause, sauf si le conducteur ne se trouve sur un ferry ou un train, et qu'il ait accès à une couchette pour se reposer.

Illustrations

Les arrêts présentés dans le tableau ci-après illustrent le contrôle de la Cour de cassation sur la vérification effectuée par les juges du fond, en cas de litige sur la nature juridique du temps de trajet, sur l’existence ou non des critères du travail effectif.

Faits 

Solution

Temps de trajet domicile/chantiers via le siège de l'entreprise

Un salarié engagé en tant que chef de chantier demande la requalification en temps de travail pour ses temps de déplacements entre le siège de son entreprise et ses chantiers. Malgré une note de service rendant facultative la venue au siège de l'entreprise, le salarié devait, de fait, nécessairement passer par le siège avant et après le chantier, d'abord pour récupérer du matériel nécessaire au chantier, et ensuite pour faire un compte rendu de sa journée. La cour d'appel déboute le salarié. 

  • Pour la Cour de cassation, la cour d’appel aurait dû vérifier si le salarié ne se tenait pas à la disposition de l’employeur et ne se conformait pas à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles, étant contraint de passer par le siège avant et après le chantier. La Cour de renvoi devra effectuer cette vérification.

  • Cass. soc., 17 janv. 2024, n°22-21.823

Temps anormal de trajet entre le domicile et le lieu de travail

Un salarié itinérant a effectué un temps de déplacement pour se rendre chez un client qui dépassait ses temps de déplacement habituels. Il demande la requalification de ce temps de trajet en temps de travail effectif. La cour d'appel le déboute et applique l’article L. 3121-4 du code du travail : le temps de déplacement domicile/lieu de travail qui dépasse le temps normal domicile/lieu habituel de travail n’est pas un temps de travail effectif mais doit faire l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La salariée se pourvoit en cassation.

  • La Cour de cassation rappelle l’obligation d'interprétation des articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du Code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE et de l’arrêt de la CJUE du 9 mars 2021. Les juges du fond doivent donc nécessairement vérifier si, durant les temps de trajet, le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. Autrement dit, les juges doivent vérifier si le temps de trajet litigieux remplit les conditions de qualification du temps de travail effectif ou du temps de repos. La Cour de renvoi devra effectuer cette vérification ;

  • Cass. soc., 28 fév. 2024, n° 22-11.494

Temps de déplacement d'un salarié à l'étranger

Un salarié en déplacement professionnel à l’étranger demande que le temps de voyage soit qualifié en temps de travail effectif.  La Cour d’appel fait droit à la demande du salarié après avoir relevé les attestations de collègues mentionnant que, durant ses déplacements, il restait joignable pour ses collaborateurs qui pouvaient ainsi prendre son attache, aussi bien quand il se trouvait effectivement à l'étranger que durant son temps de voyage. Elle en déduit que le salarié restait alors en permanence à la disposition de son employeur et que, par conséquent, ce temps de voyage constituait un temps de travail effectif.

  • La Cour de cassation n’est pas du même avis, car selon elle, les motifs retenus par la cour d’appel ne permettent pas d’établir que pendant ses déplacements le salarié était à la disposition de son employeur et qu’il se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. La cour de renvoi devra donc se prononcer après avoir effectué cette vérification.

  • Cass. soc., 13 mars 2024, n°22-11.708

Temps de trajet d’un salarié en mission

Un salarié engagé en qualité de chauffeur (convoyeur de fond) est amené à partir en mission dans différents lieux de travail et à séjourner à l’hôtel le cas échéant. Il demande la requalification en temps de travail effectif des temps de déplacement en semaine, et en particulier des temps de trajets pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir, et en repartir au motif qu’il était tenu de se conformer aux directives de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. La cour d’appel fait droit aux demandes du salarié en considérant que les temps de déplacement litigieux s’effectuaient entre deux lieux de travail dans la mesure où le salarié restait à la disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, puisqu’il se conformait à la directive de l’employeur de se rendre au lieu de convoyage suivant. 

  • La Cour de cassation n'est pas de cet avis. Après avoir rappelé l’obligation pour la cour d’appel de vérifier si les critères du temps de travail effectif sont ou non réunis pendant les temps de trajet litigieux, la Cour de cassation lui reproche de ne pas avoir ni précisé les éléments sur lesquels elle se fondait pour retenir qu’il s’agissait uniquement de déplacements entre deux lieux de travail ni caractérisé en quoi, pendant ces temps de déplacement, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. La Cour de renvoi devra effectuer cette vérification.

  • Cass. soc., 2 oct. 2024, n°23-18.492

Temps de trajet d’un conducteur routier entre son domicile et son lieu de prise de service (secteur des transports routiers)

Suite au déménagement de l’entreprise cliente de son employeur, relevant du secteur du transport routier, le lieu de prise de service d’un chauffeur routier a été déplacé. Le salarié considère que les temps de trajet entre son domicile et son nouveau lieu de prise de service, qui n'est ni le lieu de résidence du salarié ni le lieu de rattachement, revêtent la qualification de temps de travail effectif en invoquant l’article 9.2 du règlement européen n° 561/2006 du 15 mars 2006. La cour d'appel le déboute.

  • La Cour de cassation confirme l'arrêt d’appel car suite au déménagement, le lieu de rattachement concret du salarié est devenu le nouveau site de prise de service. Les temps de trajet litigieux ne répondent donc pas aux critères du temps de travail effectif en vertu de l'article 9.2 du règlement européen n°561/2006 du 15 mars 2006

  • Cass. soc., 15 janv. 2024, n°23-14.765

Temps de pause

Contexte juridique

Le temps de restauration ainsi que celui destiné aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif que si le salarié est à la disposition de son employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles (C. trav., L. 3121-1 et L. 3121-2).

En effet, en application de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, la Cour de Justice de l’Union européenne, notamment dans un arrêt du 9 mars 2021 (CJUE, 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19), adopte une vision binaire de la distinction entre-temps de travail et temps de repos. Ainsi, les juges du fond face à un temps de pause/d’attente litigieux doivent vérifier si celui-ci remplit les critères du temps de travail effectif ou du temps de repos en prenant en compte la nature et l’importance des contraintes imposées au salarié.

Illustrations

Faits

Solution

Temps de restauration

Une salariée, esthéticienne dans un salon, demande que son temps de pause méridienne soit requalifié en temps de travail effectif en prétendant qu'elle devait, pendant ce temps de restauration, répondre aux appels téléphoniques de ces clientes et les accueillir. Elle est déboutée par la cour d'appel au motif qu’elle ne produit aucun décompte détaillé des heures dont elle sollicite le paiement.

  • La Cour de cassation rappelle aux juges du fond que même en l’absence de décompte détaillé des heures supplémentaires effectuées par la salariée, ils doivent vérifier si le salarié était ou non à la disposition de l’employeur et devait se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles. La Cour de renvoi devra effectuer ces vérifications.

  • Cass. soc., 7 fév. 2024, n° 22-22.308

Temps de pause /d'attente

Un salarié, ouvrier de nettoyage de train en circulation, doit, une fois arrivé à destination, rester dans la gare où s’est arrêté le train pour attendre le prochain et ainsi effectuer son second service. Pendant ce temps d’attente, il doit rester en tenue de travail et doit être, sous peine de sanction, en capacité de répondre à des appels téléphoniques de son employeur. Il demande la requalification de ce temps d'attente en temps de travail effectif. la cour d’appel le déboute.

  • La Cour de cassation confirme l'arrêt d'appel et rejette la qualification de temps de travail effectif au temps d'attente en appliquant la jurisprudence de la CJUE. Elle relève que les notes de service invoquées par le salarié qui l’obligent à rester dans la gare de destination du train, en tenue de travail ne soumettent pas le salarié à des contraintes d’une intensité telle qu’elles l’empêchent de gérer librement son temps et de vaquer à des occupations personnelles. De plus, devoir répondre aux appels de l'employeur sous peine de sanction n’empêche pas le salarié de vaquer librement à ses occupations.

  • Cass. soc., 6 nov. 2024, n°23-17.679

Temps d'habillage ou de déshabillage

En principe le temps d’habillage et déshabillage n’est pas du travail effectif, sauf si une convention ou un accord collectif assimile ces temps à du temps de travail effectif (C. trav. L. 3121-7). 

Faits

Solution

Deux éducateurs sportifs demandent la requalification de leurs temps d'habillage /déshabillage en temps de travail effectif. Les juges d'appel leur font droit en estimant que ces salariés devaient nécessairement être dans la tenue adéquate pour assurer l'accueil des pratiquants et veiller à leur sécurité. Ils s'appuient sur leur contrat de travail selon lequel les salariés sont tenus d'assurer l'accueil et l'encadrement des pratiquants, avec des contraintes spécifiques pour les ateliers sportifs destinés aux enfants ainsi que sur une note de l'employeur définissant les créneaux horaires en ces termes : « Les créneaux horaires attribués s'étendent de l'entrée à la sortie d'établissement et les temps d'habillage et déshabillage doivent entrer dans les créneaux ».

  • La Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle se réfère à l'article 5.1.1 de la convention collective nationale du sport du 7 juillet 2005. Elle estime que, à la lecture du texte conventionnel, la cour d’appel aurait dû vérifier si les salariés, durant leur temps d’habillage et de déshabillage, étaient à la disposition de leur employeur et devaient se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. En effet cet article prévoit que les temps d'habillage avec une tenue particulière sont du temps de travail effectif si les critères du temps de travail effectif de l'article L. 3121-1 sont réunis. La Cour de renvoi devra effectuer ces vérifications.

  • Cass. soc., 27 mars 2024, n° 22-23.055

Changements importants sur l’acquisition des congés payés en cas de maladie ou d'accident

Une véritable révolution jurisprudentielle : tout arrêt de travail pour maladie ou accident ouvre droit à congés, la prescription ne court pas si l’employeur est défaillant et les congés non pris avant un congé parental sont conservés. Modification du régime des congés payés : découvrez gratuitement l’analyse de notre rédaction dans Navis Social.

Perrine ALIX
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