Actualité
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26 septembre 2024
Dans un jugement rendu cet été, le conseil de prud’hommes de Paris a admis qu’une salariée télétravaillant depuis le Canada sans l’accord de son employeur avait commis une faute grave. Quels enseignements tirer de cette décision ?
Télétravailler depuis l’étranger sans autorisation peut justifier un licenciement pour faute grave
©Getty Images

Une salariée autorisée provisoirement à télétravailler depuis le Canada…

Dans cette affaire, une salariée embauchée en CDI en mai 2019 en qualité d’analyste flux et conformité obtient, à l’issue de ses congés payés d’été 2020 passés au Canada, l’accord de son employeur pour télétravailler provisoirement depuis ce pays dans l’attente d’un nouveau vol retour, son vol initial ayant été annulé. Souhaitant s’installer définitivement au Canada, elle sollicite une rupture conventionnelle de son contrat de travail, qui lui est refusée, avant d’informer son employeur de son intention de démissionner avec une date de fin de contrat au 31 décembre 2020. La salariée est alors autorisée, dans l’attente de son départ et toujours de manière provisoire, à télétravailler depuis le Canada.

… ne peut pas s’établir dans ce pays et continuer à y télétravailler sans l’accord de l’employeur

Puis, invoquant une situation financière difficile, la salariée demande à poursuivre son contrat de travail, toujours en télétravail, depuis le Canada jusqu’à la mi-février 2021. Malgré l’absence de réponse favorable, la salariée ne démissionne pas.

En parallèle, en octobre 2020, dans le cadre de la crise sanitaire liée à la Covid-19, l’entreprise impose un télétravail total à l’ensemble de son personnel et autorise le télétravail depuis l’étranger à condition que le lieu de télétravail soit situé dans le même fuseau horaire que Paris à +/- 2 heures de décalage.

Début février 2021, l’employeur annonce le retour progressif en présentiel pour la fin du mois de février et demande à ses salariés à l’étranger de continuer à communiquer leur résidence provisoire à l’étranger, ce que la salariée ne fait pas.

Interrogée par son supérieur hiérarchique en mars 2021 sur son activité réduite en matinée, la salariée l’informe finalement qu’elle se trouve au Canada et demande à télétravailler en horaires décalés depuis ce pays. L’employeur refuse et lui demande de se présenter sur son lieu de travail une dizaine de jours plus tard, ce qu’elle ne fait pas.

Faute d’accord, l’employeur peut licencier la salariée pour faute

La salariée est alors licenciée pour faute grave. Elle conteste son licenciement en saisissant le conseil de prud’hommes de Paris.

Ce dernier donne raison à l’employeur et retient la faute grave de la salariée. Pour ce faire, il s’appuie sur des arguments de deux ordres :

  • en premier lieu, et c’est là l’originalité et l’intérêt majeur de cette décision, il s’appuie sur les risques encourus par la société du fait de l’activité de la salariée sur le territoire canadien : les juges du fond relèvent en effet que cette activité s’exerçait sans aucune autorisation des autorités canadiennes et en violation des règles sur le règlement général sur la protection des données (RGPD) ;
  • en second lieu, il relève un certain nombre de faits qui constituent, de la part de la salariée, une violation des obligations résultant de son contrat de travail : le fait de ne pas avoir recueilli l’accord préalable de son employeur pour télétravailler depuis le Canada, d’avoir adopté une attitude déloyale en lui dissimulant ce télétravail depuis ce pays et de ne pas avoir repris son poste en présentiel malgré une mise en demeure en ce sens.

A noter :

Quels sont les risques pour l’employeur visés par le conseil de prud’hommes de Paris ?

Il s’agit tout d’abord des règles de droit applicables au travail des étrangers dans le pays où s’exerce le télétravail. De nombreux pays exigent en effet que les travailleurs étrangers disposent d’une autorisation administrative pour exercer une activité sur leur sol. Le fait, pour l’employeur, de ne pas avoir demandé/obtenu cette autorisation peut l’exposer à des sanctions.

Il s’agit ensuite du non-respect des règles issues du RGPD. Ce règlement européen encadre, sur le territoire de l’Union européenne (UE), la protection des données utilisées par les travailleurs. La dissimulation d’une activité s’exerçant hors UE emporte un risque de non-conformité par l’employeur. En effet, les responsables de traitement peuvent transférer des données hors de l'UE à condition d'assurer un niveau de protection des données suffisant et approprié. Ils doivent encadrer ces transferts en utilisant les différents outils juridiques définis par le RGPD. Or, en l’espèce, l'employeur n'étant pas au courant du télétravail hors UE n'avait pas pu prendre les précautions nécessaires et on peut penser que la salariée, qui exerçait le métier d’analyste flux et conformité, manipulait des données personnelles de clients.

Enfin, bien que les juges du fond ne l’évoquent pas, il pourrait aussi y avoir d’autres risques, notamment en matière de sécurité sociale (règles d’affiliation, difficultés en cas d’accident du travail, etc.).

Quelle portée accorder à cette décision ?

Même si les risques pour l’employeur soulevés dans cette affaire par les juges du fond sont réels, il faut faire attention à ne pas surestimer la portée de cette décision.

Tout d’abord, ces risques nous semblent circonscrits à une situation de télétravail régulier hors UE. En effet, le respect du RGPD s’applique sur tout le territoire de l’UE (il n'y a donc pas de problématique de transfert de données hors UE), et les travailleurs européens peuvent s’établir et travailler librement sur ce territoire.

Ensuite, il est difficile de savoir ce qui, dans les faits de l’espèce, a été décisif pour les juges du fond : quand bien même ils ont mis en avant les risques pour l’employeur dans la motivation de leur décision, on peut se demander si le seul comportement de la salariée (manquements évoqués ci-dessus) n’aurait pas suffi à retenir la faute grave ou, à tout le moins, une faute simple constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

A notre avis :

Dans tous les cas, on ne peut que conseiller aux employeurs d’encadrer très précisément les pratiques qu’ils autorisent ou non en matière de télétravail (possibilité de télétravailler depuis un autre lieu que le domicile ; information de l’employeur sur le lieu de télétravail ; possibilité ou non de télétravailler depuis l’étranger et, si oui, dans quelles conditions ; obligation de se rendre disponible pour revenir sur site dans un certain délai ; etc.).

Documents et liens associés

Cons. Prud’h. Paris 1-8-2024 n° 21/06451

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