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14 juin 2022
A l'occasion d'un litige relatif à un accord mettant en place des commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation (CPPNI) dans le secteur du bâtiment, la Cour de cassation rappelle quelques fondamentaux sur la liberté contractuelle des partenaires sociaux dans le processus de restructuration des branches professionnelles.
Restructuration des branches et liberté contractuelle des partenaires sociaux : illustration
©Gettyimages

Les partenaires sociaux du secteur du bâtiment s'opposent sur le périmètre de fusion de ses branches 

Jusqu'ici divisé en 4 branches professionnelles, le secteur du bâtiment a fait l'objet de négociations sur la restructuration de ses conventions collectives nationales (CCN) en 2019.

A noter :

Si le ministre du travail est habilité à prendre différentes mesures pour restructurer les branches professionnelles (procédure de fusion, procédure d'élargissement), rappelons que la restructuration du paysage conventionnel appartient, en premier lieu, aux partenaires sociaux. A ce jour, le secteur du bâtiment n'a fait l'objet d'aucun arrêté ministériel prononçant la fusion de ses branches professionnelles.

La Fédération française du bâtiment (FFB), favorable à une CCN unique, avait conclu, le 14 mai 2019, avec les organisations syndicales FO, CFTC et CGC, un accord prévoyant la mise en place d’une commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI) unique pour tout le secteur du bâtiment. Mais cet accord fut privé d’effet à la suite de l’opposition majoritaire des organisations syndicales CGT, CFDT et UNSA.

A la même date, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), favorable, elle, à la mise en place de 2 CCN distinctes selon l’effectif des entreprises (jusqu’à 10 salariés et plus de 10 salariés), concluait, avec les organisations syndicales CFDT, CGT et UNSA, un accord prévoyant la mise en place de deux CPPNI (l’une pour les entreprises occupant jusqu’à 10 salariés, l’autre pour celles occupant plus de 10 salariés).

Une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation doit être mise en place dans chaque branche. Elle représente la branche, notamment dans l'appui aux entreprises et vis-à-vis des pouvoirs publics, exerce un rôle de veille sur les conditions de travail et l'emploi et établit un rapport annuel d'activité à verser dans la base de données nationale instituée en vue d'assurer la publicité des accords collectifs. Elle peut rendre, à la demande d'une juridiction, un avis sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif et exercer les missions de l'observatoire paritaire de la négociation collective (C. trav. art. L 2232-9).

L’accord collectif signé par la CAPEB étant applicable, la FFB saisit le tribunal judiciaire (TGI à l’époque des faits) en référé pour en faire suspendre les effets, ainsi que ceux de l’accord signé à la suite concernant les thèmes et le calendrier de négociation, au motif du trouble manifestement illicite résultant de ces accords. À l’appui de leurs demandes, syndicat et organisation patronale contestaient notamment :

  • la présence de l’UNSA aux négociations, syndicat qui n’était représentatif que dans le champ d’application de la CCN des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu’à 10 salariés ;
  • le nombre de CPPNI prévu (à savoir 2) en méconnaissance de l’article L 2232-9 du Code du travail qui ne prévoit la mise en place que d’une seule CPPNI dans chaque branche : après avoir rappelé que le périmètre de la branche correspond à celui au sein duquel la représentativité des organisations syndicales est reconnue par le ministre du travail, les demandeurs considéraient qu’en l’absence d’arrêté de représentativité dans le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu’à 10 salariés et dans celui des entreprises du bâtiment occupant 10 salariés et plus, il n’existait qu’une seule branche recouvrant toutes les entreprises du bâtiment sans distinction d’effectif.

Déboutées de leurs demandes par le tribunal et en appel, les organisations se pourvoient en cassation. Au-delà de la querelle opposant FFB et CAPEB, l’affaire offre une illustration intéressante sur la liberté contractuelle des partenaires sociaux dans le processus de restructuration des branches professionnelles.

Tous les syndicats représentatifs dans une ou plusieurs branches préexistantes sont invités à la négociation

S'agissant de la présence de l'UNSA aux négociations, la Cour de cassation reprend les termes de l'article L 2261-34 du Code du travail. Selon cette disposition, jusqu'à la mesure de représentativité des organisations patronales qui suit la fusion des branches, sont admises à négocier les organisations patronales représentatives dans le champ d'au moins une branche préexistant à la fusion. Cette règle s'applique également aux organisations syndicales de salariés. Ainsi, lorsque les partenaires sociaux décident, en vertu du principe de liberté contractuelle, de procéder à la fusion de plusieurs branches professionnelles existantes, doivent être invitées à cette négociation toutes les organisations syndicales représentatives dans une ou plusieurs branches professionnelles préexistantes à la fusion.

En l'espèce, les deux accords contestés prévoyaient bien la négociation de 2 CCN en remplacement des CCN des 4 branches préexistantes et, étant représentative dans le champ couvert par la CCN des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment jusqu'à 10 salariés (soit une des 4 branches préexistantes à la fusion), l'UNSA avait vocation à participer à la négociation des accords litigieux.

Les partenaires sociaux peuvent décider librement du périmètre de la CPPNI

S'agissant de la constitution de 2 CPPNI, les hauts magistrats considèrent qu'en application du principe de liberté contractuelle, les partenaires sociaux sont libres de décider, pour la mise en place d'une CPPNI, du périmètre de cette commission et, dès lors, du champ d'application de la CCN de la branche correspondante.

A notre avis :

Pour légitimer la constitution des 2 CPPNI, la Cour de cassation s'appuie également sur une décision du Conseil constitutionnel de novembre 2019 qui précise que les effets d'un arrêté ministériel prononçant fusion et contraignant les partenaires sociaux cessent au terme du délai de 5 ans suivant la date de cette fusion et qu'une fois que l'arrêté a produit ces effets, les partenaires sociaux peuvent réviser l'accord de remplacement ou, à défaut d'avoir conclu un tel accord, réviser la CCN de la branche de rattachement rendue applicable de plein droit pour en modifier les champs géographique ou professionnel (Cons. const. 29-11-2019 n° 2019-816 QPC : RJS 2/20 n° 104). On voit mal l'intérêt de cet argument dans la mesure où le bâtiment n'a pas fait l'objet d'un arrêté ministériel de fusion.

En l'espèce, les partenaires sociaux avaient instauré 2 CPPNI pour 2 CCN après avoir procédé à la fusion des 4 branches préexistantes dans le secteur du bâtiment. Ce choix relevait donc de leur liberté contractuelle. Les juges du fond n'ayant constaté aucun trouble manifeste, il n'y avait donc pas lieu de suspendre l'application des 2 accords contestés par la FFB.

A notre avis :

Cette décision présage-t-elle de l'avenir du secteur du bâtiment, à savoir le remplacement des 4 CCN du bâtiment existantes en 2 CCN applicables selon l'effectif de l'entreprise ? La FFB n'a peut-être pas dit son dernier mot. En attendant, les anciennes CCN (vieilles de 30 ans) continuent de s'appliquer.

Documents et liens associés

Cass. soc. 21-4-2022 n° 20-18.799 FS-D

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