Actualité
4 min de lecture
22 février 2023
Nouvelle précision sur les canaux de signalement d’une alerte prévus par la loi Sapin 2 : le salarié qui relate ou témoigne, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas tenu de respecter la procédure d'alerte graduée. La Cour de cassation fixe par la même occasion les contours de cette notion de bonne foi.

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, a défini la procédure d’alerte à suivre pour bénéficier du statut protecteur associé. Trois étapes étaient nécessaires jusqu’au 1er septembre dernier :

  • le lanceur d'alerte devait adresser son signalement « en interne », au sein de son entreprise ou de son administration ;
  • ensuite, en l'absence de diligences appropriées, il pouvait s'adresser « en externe » à l'autorité judiciaire ou administrative ;
  • uniquement en dernier ressort, il était autorisé à rendre publiques les informations dont il disposait.

C’est sur cette procédure que s’est prononcée la Cour de cassation le 15 février dernier. Une salariée, employée comme surveillante de nuit au sein d'une maison d'enfants à caractère social, avait signalé à l'inspection du travail de possibles agressions sexuelles commises par certains enfants accueillis sur d'autres. Le procureur de la République avait ouvert une première enquête sur ces faits, puis une seconde visant la salariée pour dénonciation mensongère, toutes deux classées sans suite. La salariée avait tout de même été licenciée, mais la cour d’appel avait déclaré la nullité du licenciement et ordonné une réintégration immédiate.

Une interprétation littérale du code du travail, limitant le champ de la procédure graduée

Pour l’employeur, il ressort de l’article L. 1132-3-3 du code du travail (dans sa version antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022) que le salarié qui entend dénoncer des actes illicites doit respecter la procédure graduée, et ce quelle que soit la nature des actes concernés. Or la salariée avait communiqué à l'inspectrice du travail un courrier d'alerte évoquant des incidents de nature sexuelle et lui avait laissé croire qu’il était resté sans réponse, alors qu'elle était informée que l’alerte était traitée par la direction, qui avait pris des mesures pour renforcer la surveillance des enfants et prévenir toute dérive. En refusant de rechercher si la salariée avait respecté la procédure d'alerte graduée au motif qu’elle n'est pas applicable en cas de dénonciation de faits constitutifs d'un crime ou d'un délit, la cour d'appel aurait donc violé cet article.

C’est une fin de non-recevoir pour la Cour de cassation qui, comme la cour d’appel, opère une distinction entre les deux premiers alinéas de l’article. En effet, si l’alinéa 2 interdit les mesures de représailles contre les personnes ayant signalé une alerte « dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 », l’article 8 étant celui qui pose le principe de la procédure d’alerte graduée, l’alinéa 1 énonce seulement qu’aucune personne ne peut être sanctionnée « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ». Elle en déduit que puisqu’il n’est dans ce cas pas fait référence à l’article 8 de la loi Sapin 2, le salarié qui alerte sur des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime n'est pas tenu de respecter la procédure d'alerte graduée. Ainsi, la cour d’appel a exactement déduit de l’article L. 1132-3-3 que la protection de la salariée licenciée pour avoir dénoncé des faits susceptibles de constituer des agressions sexuelles n'était conditionnée qu'à sa bonne foi.

Remarque

la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte du 21 mars 2022, entrée en vigueur le 1er septembre, a supprimé la hiérarchie entre les canaux de signalement interne et externe. Le lanceur d'alerte peut donc désormais appliquer la procédure externe sans avoir au préalable recouru à la procédure interne de signalement. Ainsi, la question d’espèce sur la procédure d’alerte graduée ne se poserait plus aujourd’hui.

La mauvaise foi « ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés »

Une autre question se posait alors : la salariée était-elle de bonne foi ? Non pour l’employeur puisque l’enquête interne qui avait été menée et dont la salariée était informée avait certes révélé la pratique de jeux à connotation sexuelle par les enfants, mais sans abus ni agression sexuels. De plus, la salariée n'avait pas elle-même constaté les faits dénoncés, elle s’appuyait uniquement sur des documents internes à l'entreprise, et l’enquête de police avait été clôturée par un classement sans suite, en raison de l'absence de toute infraction. Il en déduit donc la mauvaise foi de la salariée, ce que le rejette encore la chambre sociale. Pour elle, la mauvaise foi du lanceur d’alerte « ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ». Et puisque l’alinéa 1 de l’article L. 1132-3-3 ne pose comme condition que la bonne foi et que les critères supplémentaires posés par les articles 6 à 8 de la loi Sapin 2 ne lui sont pas applicables, l’exigence d’avoir eu personnellement connaissance des faits visée à cet article 6 n’est pas non plus impérative lors de la dénonciation de crimes et délits.

La Cour de cassation fait donc apparaitre deux régimes de protection véritablement distincts, selon la nature des faits dénoncés.

Changements importants sur l’acquisition des congés payés en cas de maladie ou d'accident

Une véritable révolution jurisprudentielle : tout arrêt de travail pour maladie ou accident ouvre droit à congés, la prescription ne court pas si l’employeur est défaillant et les congés non pris avant un congé parental sont conservés. Modification du régime des congés payés : découvrez gratuitement l’analyse de notre rédaction dans Navis Social.

Elise DRUTINUS
Documents et liens associés
Aller plus loin
actuEL RH - Le journal en ligne dédié à votre métier
Chaque matin, en 5 minutes, faites le point sur l’actualité sociale, juridique et managériale qui impacte les ressources humaines.
à partir de 75.83€ HT/mois

actuEL RH - Le journal en ligne dédié à votre métier