Actualité
4 min de lecture
5 avril 2023
Le principe d'égalité de traitement entre les femmes et les hommes justifie la communication de bulletins de paie d'autres salariés, sur le fondement de l'article 145 du CPC, quand bien même cette mesure porterait atteinte à leur vie personnelle, dès lors qu'elle est indispensable à l'exercice du droit à la preuve.
Le juge peut ordonner la communication de bulletins de paie pour établir l’inégalité de traitement
©Gettyimages

L'article 145 du Code de procédure civile (CPC) prévoit que tout intéressé peut, en cas de motif légitime, demander, sur requête ou en référé,que soient ordonnées les mesures d'instruction nécessaires à conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.

Sur le fondement de cet article, une salariée pouvait-elle obtenir en référé la communication des bulletins de salaire de certains de ses collègues afin d’établir la preuve d’une inégalité de traitement supposée ? C'est la question à laquelle la chambre sociale de la Cour de cassation a répondu dans un arrêt du 8 mars 2023.

A noter :

L'établissement de la preuve en matière de discrimination répond à un dispositif spécifiquement aménagé en faveur du salarié. Ce dernier présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. À charge pour l'employeur de prouver, au vu de ces éléments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs (C. trav. art. L 1134-1). Ce même régime s'applique en cas d'inégalité professionnelle ou de rémunération entre les femmes et les hommes (C. trav. art. L 1144-1 et L 3221-8) et en cas d'atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » (en ce sens, Cass. soc. 28-9-2004 n° 03-41.825 F-PB).

La salariée invoquait une inégalité de rémunération par rapport à des collègues masculins

Engagée le 5 janvier 2009, la salariée a occupé le poste de responsable projets transverses dérivés entre 2013 et 2017 avant d’être nommée directeur stratégie et projets. Licenciée le 22 février 2019, elle considérait avoir subi une inégalité salariale par rapport à certains collègues masculins occupant des postes identiques. Elle avait saisi, en référé, la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile afin d’obtenir la communication de leurs bulletins de paie permettant la comparaison entre sa rémunération et celles de ses collègues.

A noter :

Il a déjà été jugé, en matière de discrimination, que la procédure prévue par l'article 145 du Code de procédure civile ne peut pas être écartée au motif de l'existence d'un mécanisme probatoire spécifique résultant des dispositions de l'article L 1134-1 du Code du travail (Cass. soc. 22-9-2021 n° 19-26.144 F-B).

Une demande de communication d’éléments susceptible de porter atteinte à la vie privée…

La juridiction prud’homale avait fait droit à la demande de la salariée en ordonnant sous astreinte la communication des bulletins de paie de 8 salariés masculins, pour les périodes de février 2013 à janvier 2017 pour certains, et de janvier 2017 à mai 2019 pour les autres. Les documents visés devaient être transmis après occultation des données personnelles, à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile.

L’employeur faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir confirmé la décision de référé au motif que la communication des données personnelles des salariés visés était contraire aux exigences du règlement européen 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD), mais aussi que la salariée était déjà en mesure de présenter des éléments de fait susceptibles de laisser présumer l’existence de la discrimination alléguée, tels les rapports égalité femmes/hommes versés aux débats ou l’index de l’égalité pour 2018, de sorte que la communication des bulletins de paie sollicitée n’était pas indispensable au droit de la preuve et proportionnée au droit au respect de la vie privée.

… justifiée car indispensable au droit de la preuve et proportionnée à la défense de l’égalité de traitement

Dans l’arrêt rendu le 8 mars 2023, la chambre sociale approuve la cour d’appel et rejette le pourvoi. Elle précise d’abord qu’au regard du RGPD, le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité.

Elle rappelle ensuite, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, qu’il appartient au juge, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

En l’espèce, la Cour considère, au regard des constatations des juges du fond, que la communication des bulletins de paie des 8 salariés masculins était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail, de sorte que la demande de la salariée était fondée.

A noter :

La Cour de cassation s’est plusieurs fois prononcée sur la faculté pour le juge du fond, comme des référés, d’accéder à la demande du salarié visant la communication de documents permettant une comparaison avec certains collègues (Cass. soc. 19-12-2012 n° 10-20.526 FS-PB ; Cass. soc. 12-6-2013 n° 11-14.458 FP-PB ; Cass. soc. 16-12-2020 n° 19-17.637 F-PB).

Documents et liens associés

Cass. soc. 8-3-2023 n° 21-12.492 FS-B, Sté Exane c/ R.

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