En principe et selon l’article L. 3121-4 du code du travail, le temps de déplacement pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Mais s'il dépasse le temps normal de trajet domicile/lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos soit financière. Un principe difficile à appliquer aux salariés itinérants qui, par définition, n’ont pas de lieu habituel de travail. C’est pourquoi, sous la pression de la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation a fini par admettre récemment que « lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code ». Ils peuvent donc être intégrés dans le temps de travail effectif et rémunérés comme tel. Elle a toutefois bien précisé que les juges du fond doivent vérifier si, pendant les temps de déplacement, le salarié se tenait à la disposition de l'employeur, s'il se conformait à ses directives et s'il pouvait vaquer à des occupations personnelles (Cass. soc., 1er mars 2023, n° 21-12.068, F-B). Une appréciation au cas par car donc, illustrée dans un arrêt du 25 octobre.
Des contrôles de l’employeur « rétrospectifs » et « justifiés »
En l’espèce, un salarié itinérant demandait le paiement de rappels de salaires au titre de ses temps de trajet entre les locaux des clients et son domicile. Pour lui, ces temps devaient être regardés comme des temps de travail effectif dans la mesure où il recevait un planning, il devait impérativement soumettre à l'accord de son supérieur la réalisation d'heures supplémentaires, il effectuait des soirées étapes imposées par l'employeur, son véhicule de service disposait d'un dispositif de géolocalisation, etc. Ses trajets correspondaient donc, selon lui, aux critères de l'article L. 3121-1 du code du travail. Tel n’est pas l’avis de la cour d’appel ni de la Cour de cassation qui déconstruisent les arguments du salarié un à un :
- les plannings ou encore la note de service relative aux soirées étapes ne suffisaient pas à établir que le salarié se tenait à la disposition de l'employeur dès lors qu'il prenait l'initiative de son circuit quotidien, « les contrôles de l'employeur n'étant que rétrospectifs et se justifiant pleinement dès lors que l'employeur avait mis en place un dispositif d'indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au-delà de 45 minutes » ;
- un interrupteur « vie privée » permettait de désactiver la géolocalisation du véhicule de service ;
- le salarié restait libre de vaquer à des occupations personnelles avant son premier rendez-vous et après le dernier ;
- il pouvait choisir ses soirées étapes, les prescriptions de l’employeur en la matière servant juste à éviter de trop longs trajets.
« De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que les temps de trajet entre le domicile du salarié et les sites des premier et dernier clients ne constituaient pas du temps de travail effectif ».
Des tâches ponctuelles au domicile ne suffisent pas à le qualifier de lieu de travail
Dans un autre moyen, le salarié cherchait également à obtenir le paiement de ses temps de trajet, cette fois au motif que « le temps de trajet pour se rendre d'un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue un temps de travail effectif ». Il était en effet convenu que le salarié effectuerait, aux frais de l'employeur, un travail administratif à son domicile. Il faisait donc valoir que le volume des heures de travail administratif effectuées chez lui (10h par semaine selon la cour d’appel) avait une incidence sur la qualification des premiers et derniers trajets en travail effectif puisque ce volume conférait à son domicile un usage de bureau. En conséquence, le temps de trajet entre le domicile, lieu où le salarié devait exercer une partie de ses fonctions, et les locaux des clients de l'employeur constituait un temps de travail effectif et devait être rémunéré comme tel.
Argument une nouvelle fois rejeté : le salarié ne caractérisait nullement l'importance effective des tâches administratives accomplies à domicile, domicile qui n’avait de fait pas la qualité de lieu de travail quand bien même son usage ponctuel justifiait que l'employeur lui allouait une indemnité mensuelle à ce titre.