Dans une série d'arrêts du 7 novembre 2018, la Cour de cassation précisait que les titulaires d'un congé de reclassement doivent bénéficier de la participation aux résultats de l'entreprise puisqu'ils demeurent salariés de l'entreprise jusqu'à l'issue du congé (Cass. soc., 7 nov. 2018, n° 17-18.936).
Une décision logique dans la mesure où la qualité de bénéficiaire de la participation n'est pas liée à l'exécution ou la suspension du contrat de travail mais dépend de l’existence même d'un contrat de travail entre le salarié et l’employeur. La rupture du contrat de travail n’étant effective qu’à l’issue du congé de reclassement, les salariés en congé de reclassement doivent bénéficier de la participation mise en place dans l’entreprise.
Elle ajoutait que peu importait que les sommes perçues au titre de ce congé soient ou non retenues pour le calcul de la réserve spéciale de participation (RSP). Cette précision sibylline jetait le trouble sur l'incidence du congé de reclassement dans le calcul de cette réserve et sur la répartition des sommes dues entre les bénéficiaires.
Dans un arrêt du 1er juin 2022, la Chambre sociale étend sa position au dispositif d'intéressement et traite aussi des incidences d'un tel congé sur les critères de répartition de l'intéressement.
Remarque : on peut supposer que cette jurisprudence est également applicable au congé de mobilité, ce congé étant similaire au congé de reclassement. En effet, pendant toute la durée de ce congé, le salarié demeure lié à son employeur par son contrat de travail et perçoit une rémunération exonérée de cotisations (C. trav., art. L. 1237-18-3). La rémunération versée dans le cadre du congé de mobilité est soumise, dans la limite des douze premiers mois du congé, au même régime de cotisations et contributions sociales que celui de l'allocation versée au bénéficiaire du congé de reclassement prévue au troisième alinéa de l’article L.1233-72 à laquelle elle est assimilée.
Statut du salarié en congé de reclassement : bref rappel
Les titulaires d’un congé de reclassement demeurent salariés de l’entreprise jusqu’à l’issue du congé (C. trav., art. L. 1233-72). Plus précisément, le congé de reclassement intervient durant la période de préavis (que le salarié est dispensé d’exécuter). Lorsque la durée de ce congé excède celle du préavis, le terme du contrat de travail est reporté à la fin du congé. Le salarié qui accepte un congé de reclassement reste donc salarié de l’entreprise et continue d’être rémunéré par elle comme suit :
- pour la durée du congé correspondant à celle du préavis, il perçoit la même rémunération que s’il avait continué à travailler dans l’entreprise ;
- pour la durée du congé excédant celle du préavis, il perçoit une rémunération mensuelle non assujettie à cotisations, correspondant à 65 % de sa rémunération brute moyenne des 12 derniers mois.
Notons que cette rémunération plafonnée semble être assimilée par l’administration à une allocation de chômage (Lettre-circ. ACOSS n° 2012-32 du 19 mars 2012, QR n° 12). Une position administrative qui ne s'impose pas au juge.
Les salariés en congé de reclassement bénéficient de l'intéressement
Dans cette affaire, une salariée, embauchée en juin 1980 signe, le 29 mars 2013, une convention de rupture d'un commun accord pour motif économique à effet du 1er avril 2013. La salariée est en congé de reclassement jusqu'au 31 décembre 2016.
Le 31 juillet 2016, elle saisit les prud'hommes pour obtenir des dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail en faisant valoir que son employeur n'avait pas fait une application régulière de l'accord d'intéressement mis en place dans l'entreprise, au titre de l'année 2015. Les juges du fond font droit à sa demande mais limitent le montant des dommages et intérêts à 200 euros.
Remarque : l'exclusion irrégulière du bénéfice de l'intéressement se résout par l'octroi de dommages-intérêts aux salariés lésés ; il n'y a pas lieu de modifier a posteriori la répartition effectuée au titre d'un exercice (CA Paris, 21e ch., sect. A, 13 janv. 1998).
La salariée se pourvoit en cassation, offrant l'occasion à la chambre sociale d'appliquer la position prise en 2018 pour la participation au dispositif de l'intéressement.
Reprenant les termes de sa jurisprudence de 2018, la Cour de cassation énonce que « sous réserve d'une condition d'ancienneté ne pouvant excéder 3 mois, tous les salariés d'une entreprise compris dans le champ des accords de participation ou d'intéressement bénéficient de leurs dispositions ». Dès lors, « les titulaires d'un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé » (C. trav., art. L. 1233-72), « bénéficient de la participation ou de l'intéressement, que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation ».
C’est donc bien la qualité de salarié de l’entreprise qui conditionne le bénéfice de la participation et de l'intéressement, non la prise en compte ou non des sommes qui lui sont versées pour calculer la RSP et la répartir.
Mais ils peuvent ne rien percevoir selon les critères de répartition retenus par l'accord
Pour rappel, la répartition de l'intéressement entre les bénéficiaires peut être (C. trav., art. L. 3314-5) :
- soit uniforme (c'est-à-dire égalitaire) ;
- soit proportionnelle aux salaires ou à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice de référence ;
- soit établie sur la base d'une prise en compte conjointe de plusieurs de ces critères.
La durée de présence est constituée par les périodes de travail effectif, auxquelles s'ajoutent les périodes légalement assimilées à du travail effectif et rémunérées comme tel (congés payés, exercice de mandats de représentation du personnel).
Remarque : les périodes de congés de reclassement sont pas légalement assimilées à une période de temps de travail effectif.
Une définition de la durée de présence plus favorable aux salariés que celle énumérée ci-dessus peut être retenue par l'accord d'intéressement.
S'agissant du critère des salaires, c'est à l'accord de définir la notion du salaire retenue, qu'il s'agisse, soit du salaire effectivement versé, soit du salaire de référence correspondant à la rémunération habituelle des salariés.
Pour déterminer le montant dû aux salariés en congé de reclassement, tout dépend donc des termes de l'accord d'intéressement.
Remarque : plus ils sont précis (comme dans cette affaire), moins la répartition de l'intéressement sera source de contentieux.
En l'espèce, l'accord d'intéressement prévoyait une répartition à hauteur de 50 % en fonction de la durée de présence du salarié dans l'entreprise et à hauteur de 50 % en fonction de la rémunération annuelle brute perçue au cours de l'exercice de référence, étant précisé que :
- les absences résultant des congés payés, des jours de récupération du temps de travail ou de repos supplémentaires, des congés d'ancienneté, des congés conventionnels, des congés de formation tels que prévus au plan de formation (aujourd'hui plan de développement des compétences), des congés de formation économique, sociale et syndicale, des heures de délégation, de la maternité, de l'accident du travail et du trajet et d'une façon générale des périodes légalement et conventionnellement assimilées au travail effectif n'avaient aucune incidence sur le droit à répartition ;
- le salaire servant de base à la répartition était égal au total des sommes perçues par chaque bénéficiaire au cours de l'exercice considéré et répondant aux règles fixées à l'article 231 du CGI relatif à la taxe sur les salaires.
Or l'allocation de reclassement excédant la durée du préavis n'est soumise ni aux cotisations de sécurité sociale, ni à la taxe sur les salaires (C. trav., art. L. 1233-72 et L. 5123-5). En outre, les périodes de congé de reclassement ne sont pas légalement assimilées à une période de temps de travail effectif et aucune disposition conventionnelle ne les assimilait en l'espèce à du temps de travail effectif.
Remarque : s'agissant de la répartition en fonction du critère de présence, la même solution aurait été retenue s'il s'était agi d'un accord de participation puisque des règles similaires à l'intéressement sont applicables à ce dispositif (C. trav., art. L. 3324-6 et D. 3324-11).
C'était donc à bon droit que l'employeur n'avait pas pris en compte l'allocation de reclassement versée à la requérante (mais seulement sa prime d'ancienneté) pour calculer la répartition de son intéressement. Il a fait une juste application de son accord d'intéressement.
Remarque : en revanche, la rémunération versée au salarié pour la période du congé correspondant à son préavis doit être retenue en cas de répartition en fonction du salaire.
Des questions toujours en suspens
Critère de durée de présence : faut-il exclure toute la période du congé de reclassement lorsqu'elle n'est pas conventionnellement assimilée à du temps de travail ?
La Cour de cassation énonce que la période du congé de reclassement n'est pas légalement assimilée à une période de temps de travail effectif, sans distinguer la part du congé correspondant au préavis que le salarié aurait accompli s'il avait été licencié de la part de congé effectuée au-delà du préavis.
Faut-il en déduire que, sauf disposition conventionnelle contraire, la part correspondant au préavis du salarié pourrait être ignorée en cas de répartition en fonction du temps de présence ?
Quels éléments de salaire retenir pour calculer la réserve spéciale de participation et la répartir ?
Les salaires à retenir pour calculer la RSP sont, selon l’article D. 3324-1 du code du travail, les revenus d’activité tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations définies à l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale. La même définition est donnée par le code du travail pour la répartition de la RSP en fonction des salaires (C. trav., art. D. 3324-10), la répartition de la RSP est donc plus encadrée que ne l'est celle de l'intéressement.
Remarque : le réseau des Urssaf indique que les salaires à retenir pour le calcul du montant de la réserve spéciale de participation sont déterminés selon les règles prévues pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale.
Pour les praticiens et beaucoup d'experts, la référence à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale signifie que seules sont retenues dans l'assiette de calcul de la RSP et lors de sa répartition (si le critère des salaires est retenu), les rémunérations incluses dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale.
Mais un arrêt de Cour de cassation rendu en 2013 à propos de la prise en compte des rémunérations et primes versées aux salariés expatriés, éléments non soumis à cotisations sociales françaises, dans le calcul de la RSP, peut laisser penser que les rémunérations servant de base de calcul de la RSP sont celles désignées par l'article L. 242-1, qu'elles soient ou non assujetties à cotisations sociales (Cass. soc., 29 oct. 2013, n° 12-23.866). Tous les éléments de rémunération devraient alors être pris en compte dès lors qu'ils sont versés en considération de la qualité de salarié de leur bénéficiaire et donc « en contrepartie ou à l'occasion du travail ». Beaucoup pensaient qu'il s'agissait d'un cas particulier mais le doute est conforté par la précision sibylline adoptée par la Chambre sociale en 2018 et dans cette affaire, indiquant que le bénéfice de l'intéressement et de la participation est ouvert aux salariés en congé de reclassement, « que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation » .
Dans la première hypothèse (sommes soumises à cotisations), l'allocation de reclassement ne serait pas retenue pour calculer la RSP.
Dans la seconde hypothèse, elle devrait être retenue. Mais alors, d'autres sommes versées en contrepartie ou à l'occasion du travail et non soumises à cotisations (et traditionnellement exclues du calcul de la RSP), telles que les indemnités de licenciement et les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, devraient l'être aussi.
A notre avis, la première hypothèse devrait prévaloir pour au moins une raison : dispensés d'activité, les salariés en congé de reclassement ne participent plus à la réalisation du bénéfice de l'entreprise et à la constitution de la RSP. Il serait alors inéquitable qu'ils perçoivent des droits à participation au détriment des salariés qui, eux, y participent.
Ceci dit, les pouvoirs publics mettent tout en oeuvre, depuis quelques années déjà, pour faire bénéficier le plus grand nombre des dispositifs d'épargne salariale dont la participation fait partie.
Limitée par le principe non ultra petita l'empêchant de statuer au-delà des demandes des parties, la Cour de cassation n'a pas pu trancher entre ces deux interprétations dans cette affaire. Souhaitons qu'elle puisse le faire rapidement, une position claire de sa part sur ce point serait bienvenue.