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3 février 2022
Le refus d’un poste de reclassement peut à lui seul justifier le licenciement pour inaptitude à la condition que l'employeur ait proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Un salarié, engagé en 1992 en qualité de conducteur de compacteur dans une entreprise de travaux publics, puis affecté au poste d'ouvrier -manoeuvre, a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail le 1er août 2017 après un arrêt de travail d'un an et demi.Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 14 décembre 2017 après avoir refusé trois propositions de reclassement. Il conteste la validité de ce licenciement ; les juges du fond lui donnent raison.

Pour la cour d’appel, l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement dans la mesure où il aurait dû proposer au salarié, souffrant d'une hernie discale reconnue comme maladie professionnelle, un poste de conducteur d'engins qui correspondait au premier poste cité par le médecin du travail après une évaluation du niveau des vibrations.

L’employeur conteste cette décision. Il relève que le médecin du travail n'avait pas seulement envisagé le reclassement du salarié en tant que conducteur d'engins mais également dans d'autres fonctions, dont des postes administratifs, en sorte que les juges auraient dû rechercher si les trois postes proposés par l'employeur (technicien d'enrobage, géomètre projeteur et technicien de laboratoire) étaient conformes aux préconisations.

La Cour de cassation le déboute et donne la marche à suivre concernant la proposition de postes de reclassement à un salarié déclaré inapte.

Rappel des textes applicables sur l'obligation de reclassement

Tout d’abord, la Cour de cassation, dans son arrêt du 26 janvier 2022, rappelle le contenu des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail concernant la procédure à suivre pour respecter l’obligation de reclassement par l’employeur :

  • lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ;
  • cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique (délégués du personnel aux moments des faits), les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise ;
  • le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté ;
  • l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ;
  • l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

Elle rappelle ensuite les motifs pouvant être invoqués pour justifier un licenciement pour inaptitude en citant l’article L. 1226-12 du code du travail : « l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi ».

La question qui se posait en l'espèce était de savoir si l'employeur avait respecté son obligation de reclassement en proposant au salarié 3 postes que ce dernier a refusé. Pouvait il s'appuyer sur le refus du salarié pour justifier le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ?

Le refus du reclassement comme motif de licenciement

Avant le 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, le refus par un salarié déclaré inapte à son poste d'une proposition de reclassement, conforme aux préconisations du médecin du travail, n'impliquait pas, à lui seul le respect par l'employeur de son obligation de reclassement. Dans ce cas, l’employeur était tenu de rechercher et de proposer d’autres postes de reclassement ; il ne pouvait pas licencier à ce stade de la procédure (Cass. soc., 10 févr. 2016, n°14-14.325).

Depuis le 1er janvier 2017, il est précisé, dans le code du travail que « l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail » (C. trav., art. L. 1226-2-1, al. 3 et L. 1226-12, al. 3). Ce qui pourrait induire que si le salarié a refusé un poste conforme, il n’est plus nécessaire à l’employeur de proposer un autre poste pour pouvoir licencier pour inaptitude puisque ce dernier est présumé avoir respecté l'obligation de reclassement.

La position de la Cour de cassation était attendue pour confirmer ou non cette interprétation. L’arrêt du 26 janvier 2022 semble apporter des éléments de réponse.

En effet, pour la première fois, la Cour de cassation donne une grille de lecture de la présomption posée par l’article L. 1226-12 en précisant que « la présomption instituée par ce texte ne joue que si l'employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ».

Par cette formulation, la Cour de cassation admet implicitement que le refus d’un seul poste de reclassement conforme suffit à justifier que l’employeur a respecté son obligation de reclassement et que ce refus est un motif de licenciement pour inaptitude. Mais elle prend le soin de veiller à ce que cette présomption ne soit pas détournée en exigeant une démarche loyale de l’employeur.

En l’espèce, la Cour de cassation estime que l’employeur n’a pas loyalement respecté son obligation de reclassement au motif qu’il aurait dû proposer le poste de conducteur d’engins après avoir relevé les points suivants :

  • le médecin du travail, dès son avis d'inaptitude du 1er août 2017, a mentionné le poste de conducteur d'engins comme une possibilité de reclassement. En réponse à une interrogation de l'employeur, le médecin du travail a écrit à ce dernier le 4 septembre 2017 que les fortes secousses et vibrations étaient effectivement contre indiquées, mais que les niveaux d'exposition et de vibrations variaient selon le type d'engins, et lui a proposé de venir faire des mesures de vibrations, l'invitant par ailleurs à consulter des documents, un logiciel, et un guide de réduction des vibrations ;
  • dans son courrier du 21 septembre 2017, le médecin du travail cite au titre des postes envisageables, en premier, la conduite d'engins après évaluation du niveau de vibrations ;
  • un poste de conducteur d'engins était disponible à proximité, ;
  • le salarié a demandé à être reclassé sur un tel poste qu'il avait occupé de 1992 à 2011 et qu'il maîtrisait ;
  • l'employeur ne justifie d'aucune évaluation de ce poste avec le médecin du travail, comme celui-ci le lui proposait.

L'argument de l'employeur selon lequel il a proposé 3 postes de reclassement n'est pas retenu. Il s'avère que ces postes n’étaient pas préconisés dans l’avis du médecin du travail qui ne visait que le poste de conducteur d’engins et des postes administratifs.

La solution aurait été différente si l’employeur avait proposé le poste de conducteur d’engins que le salarié aurait refusé.

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Nathalie LEBRETON
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