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4 avril 2024
Pour la Cour de cassation, un employeur ne peut pas licencier pour motif disciplinaire un salarié ayant envoyé des courriels au contenu raciste et xénophobe, via la messagerie professionnelle, dès lors qu’il s’agit de messages privés, non voués à être rendus publics.
L’envoi de messages privés, même racistes, via la messagerie professionnelle, n’est pas fautif
©Getty Images

Vie personnelle du salarié ou vie professionnelle, la frontière peut être ténue. En particulier lorsque, comme dans l’affaire jugée ici par la Cour de cassation, des propos racistes et xénophobes sont échangés par une salariée avec ses collègues au moyen de la messagerie professionnelle de l’entreprise.

Cette affaire donne l’occasion à la chambre sociale de la Cour de cassation de confirmer sa jurisprudence, constante en la matière, et récemment rappelée par son assemblée plénière à l’occasion d’arrêts relatifs à la recevabilité d’une preuve déloyale ou illicite.

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, en principe, justifier son licenciement disciplinaire

Des propos racistes dans des échanges de courriels entre collègues

En l’espèce, la salariée d’une caisse de sécurité sociale avait diffusé à des collègues des propos racistes et xénophobes par le biais de la messagerie professionnelle mise à sa disposition. En raison d’une erreur d’envoi par l’un des destinataires, l’employeur a pris connaissance de ces courriels. Il a licencié la salariée pour faute grave, au vu du contenu de ces messages.

La salariée a contesté son licenciement, au motif que les faits qui lui étaient reprochés relevaient de sa vie privée, et ne pouvaient donc pas justifier un licenciement disciplinaire. À juste titre, pour la cour d’appel, qui a estimé que le contenu des courriels envoyés par la salariée à partir de la messagerie professionnelle, dans une conversation qualifiée de « personnelle et confidentielle », relevait de sa vie personnelle. Elle en déduit que, même si ces messages étaient choquants, l’employeur ne pouvait pas se fonder sur leur contenu pour licencier la salariée pour faute, et a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

L’application d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation…

La Cour de cassation juge, de manière constante, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058 FS-PBRI ; Cass. soc. 4-10-2023 n° 21-25.421 F-B).

C’est ce principe classique qu’affirme, dans un premier temps, la Cour de cassation, en prenant soin de rappeler que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.

… et d’un arrêt récent de l’assemblée plénière de la Cour

La salariée avait-elle manqué aux obligations découlant de son contrat de travail en écrivant un courriel raciste et xénophobe à l’aide de sa messagerie professionnelle ? C’est ce que soutenait l’employeur, à l’appui de son pourvoi.

Pour rejeter ce pourvoi, la Cour de cassation s’appuie sur la décision récente de son assemblée plénière (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 21-11.330 BR). Appliquant le principe du respect de la vie personnelle du salarié, l’assemblée plénière a jugé qu’une conversation privée qui n'est pas destinée à être rendue publique ne peut pas constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail. Elle en a déduit, dans cette affaire, que les propos homophobes échangés par des salariés à propos d’un de leurs collègues sur la messagerie d’un compte Facebook installée sur un poste professionnel ne justifiaient pas un licenciement disciplinaire.

La chambre sociale de la Cour de cassation, s’appuyant sur les constats de la cour d’appel, arrive ici à la même conclusion.

Les propos tenus au sein d’un groupe restreint relèvent de la vie personnelle

Des propos privés, car tenus dans un cadre restreint…

Premiers constats des juges du fond, approuvés par la Cour de cassation :

  • les messages litigieux s'inscrivaient dans le cadre d'échanges privés à l'intérieur d'un groupe de personnes ;
  • ils n'avaient pas vocation à devenir publics ;
  • et ils n'avaient été connus par l'employeur qu’à la suite d’une erreur d'envoi de l'un des destinataires.

Autrement dit, les juges relèvent que les messages n’étaient destinés qu’à un faible nombre de personnes, soit seulement deux collègues de travail, et n’avaient manifestement pas vocation à être diffusés hors de ce groupe restreint.

A notre avis :

A contrario, si les messages avaient « fuité », l’employeur aurait-il pu s’en prévaloir à l’appui d’un licenciement ?

Si, compte tenu du caractère choquant des messages, des salariés s’étaient plaints auprès de l’employeur, un licenciement non disciplinaire motivé par le trouble au bon fonctionnement de l’entreprise aurait pu être envisagé (en ce sens, Cass. soc. 30-11-2005 n°s 04-13.877 F-P et 04-41.206 F-P).

En cas de diffusion des messages à l’extérieur de l’entreprise, l’employeur aurait pu se placer sur le terrain disciplinaire. Par exemple, l’envoi d’injures antisémites à un tiers extérieur à l’entreprise, via la messagerie professionnelle, permettant d’identifier le nom de l’employeur, a été jugé fautif (Cass. soc. 2-6-2004 n° 03-45.269 F-PI).

… même sur une messagerie professionnelle…

Les messages avaient été envoyés à partir de la messagerie professionnelle, mais il ressort de l’arrêt d’appel qu’ils avaient tous expressément été identifiés par la salariée comme étant « personnels et confidentiels ».

À ce titre, il est de jurisprudence constante que les courriels adressés et reçus par un salarié à l’aide de la messagerie professionnelle sont présumés avoir un caractère professionnel, et sont par conséquent passibles de sanctions (Cass. soc. 2-6-2004 n° 03-45.269 FS-PBRI). Si, toutefois, les messages sont identifiés comme étant personnels, ils sont couverts par le secret des correspondances (Cass. soc. 16-5-2013 n° 12-11.866 F-D). L’employeur ne peut les invoquer à l'appui d'une sanction disciplinaire que si leur contenu est en rapport avec l’activité professionnelle et ne revêt pas un caractère privé (Cass. soc. 2-2-2011 n° 09-72.450 F-D). Ce n’était pas le cas ici.

A noter :

Dans l’arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023, le même principe a été retenu à propos de messages provenant d’un compte Facebook personnel. La jurisprudence admet que, même installées sur l’outil professionnel, la messagerie personnelle comme la messagerie personnelle instantanée restent couvertes par le secret des correspondances (Cass. crim. 24-3-2020 n° 19-82.069 FS-D ; Cass. soc. 23-10-2019 n° 17-28.448 F-D).

… dès lors qu’ils n’ont pas eu de retentissement dans la sphère professionnelle

L’employeur soutenait que, en sa qualité d’employée d’une caisse de sécurité sociale, la salariée était tenue par le principe de neutralité et de laïcité applicable aux salariés exerçant une mission de service public en vertu de l’article 1er de la Constitution. Dès lors, en utilisant sa messagerie professionnelle pour diffuser des propos racistes et xénophobes, la salariée aurait manqué à ces principes.

Un argument là aussi balayé par la Cour de cassation qui reprend, à nouveau, les constats des juges du fond. La lettre de licenciement ne mentionnait pas que les propos tenus auraient eu une incidence sur l’emploi de la salariée, dans ses relations avec les usagers ou avec les collègues.

L’employeur ne rapportait pas non plus la preuve que les écrits de la salariée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la caisse ni que son image aurait été atteinte.

Les juges en déduisent l’absence de violation du principe de neutralité et de laïcité applicable aux agents exerçant une mission de service public.

A noter :

A contrario, si l’employeur avait été en mesure de prouver un comportement raciste ou xénophobe de la salariée envers les usagers de la caisse, il aurait pu se placer sur le terrain disciplinaire. Mais la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, s’en tenait exclusivement aux propos tenus par la salariée dans le cadre d’une conversation privée.

Pas d’abus dans l’usage de la messagerie professionnelle à des fins personnelles

Dernier argument avancé par l’employeur : l’utilisation abusive du matériel informatique mis à la disposition de la salariée par la caisse, en violation du règlement intérieur de la caisse de sécurité sociale.

La Cour de cassation, s’appuyant là encore sur la décision des juges du fond, relève que, si le règlement intérieur interdit aux salariés d’utiliser les équipements appartenant à l’employeur pour leur propre compte et sans autorisation préalable, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié peut néanmoins utiliser la messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abuse pas.

Pour les juges du fond, l’envoi de 9 messages privés en 11 mois, à partir de la messagerie professionnelle, n’était pas excessif, et ce, indépendamment de leur contenu, qui était couvert par le secret des correspondances.

A noter :

Les juges peuvent en revanche considérer qu’un salarié fait une utilisation abusive du matériel informatique justifiant son licenciement disciplinaire s’il y consacre trop de temps, au détriment de son travail ou si une utilisation à titre personnel revêt un caractère systématique (voir, par exemple, Cass. soc. 18-3-2009 n° 07-44.247 F-D; Cass. soc. 26-2-2013 n° 11-27.372 F-D).

Documents et liens associés

Cass. soc. 6-3-2024 n° 22-11.016 FS-B, CPAM du Tarn-et-Garonne c/ K.

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