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24 avril 2023
C'est à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt du 19 avril 2023 rendu à propos de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA) millésime 2019 mais transposable à la prime de partage de la valeur (PPV).

Dans les entreprises de 1 000 salariés et plus, l'employeur est tenu de proposer, à chaque salarié dont le licenciement économique est envisagé, le bénéfice du congé de reclassement. Ce congé vise à favoriser le reclassement des salariés en leur permettant de :

  • bénéficier des prestations d'une cellule d'accompagnement, des démarches de recherche d'emploi et d'actions de formation destinées à favoriser leur reclassement professionnel et, si nécessaire, d'un bilan de compétences ;
  • faire valider les acquis de leur expérience ou engager les démarches en vue d'obtenir cette validation.

Le congé de reclassement débute par le préavis que le salarié est dispensé d’exécuter. Si le congé excède la durée du préavis (hypothèse très fréquente), le terme de ce dernier est reporté jusqu’à la fin du congé et le contrat de travail prend fin au terme du congé.

Lorsqu'une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA) ou une prime de partage de la valeur (PPV) modulée en fonction de la durée de présence effective du salarié dans l'entreprise est distribuée, faut-il tenir compte du congé de reclassement dont bénéficie le salarié ? 

La Cour de cassation a répondu à cette question dans un arrêt du 19 avril 2023 relatif au bénéfice d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) mais transposable, à notre avis, à la PPV.

Remarque

la jurisprudence précitée, prise pour la PEPA millésime 2019, nous semble valable pour toutes les PEPA quel que soit leur millésime ainsi que pour la PPV qui a remplacé, de manière pérenne, ces dispositifs exceptionnels (voir ci-après).

Modulation de la PPV et PEPA : bref rappel

Pour répondre à la contestation de la rue démarrée fin 2018 contre la baisse du pouvoir d'achat (mouvement dit des « gilets jaunes »), la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales avait permis aux entreprises, sous certaines conditions, de verser exceptionnellement (avant le 1er avril 2019) une prime à leurs salariés (ou à certains d'entre eux) non imposable et exclue de l'assiette des cotisations et contributions sociales dans certaines limites.  Fort du succès de cette prime, le dispositif a été reconduit en 2020 puis en 2021/2022 mais pas complètement à l'identique. Finalement, le dispositif de la PEPA est pérennisé depuis le 1er juillet 2022 et rebaptisé, pour la circonstance, prime de partage de la valeur (PPV) (L. n° 2022-1158, 16 août 2022, art. 1er : JO, 17 août).

Pour la prime de partage de la valeur ou comme pour les PEPA, le montant de la prime peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de critères limitativement prévus par la loi (pouvant se combiner entre eux), parmi lesquels la durée de présence effective du salarié dans l'entreprise.

Remarque

pour rappel, s'agissant de la PPV, ce critère est apprécié sur les 12 mois glissants précédant le versement de la prime soit dans les mêmes conditions que celles prévues pour le calcul de la valeur du Smic prise en compte pour le calcul de la réduction Fillon (c'est-à-dire en proportion de la durée de travail et en retenant les mêmes règles pour la prise en compte des absences, exception faite des congés parentaux listés dans la remarque suivante), soit en fonction de la durée de présence effective du salarié dans l'entreprise.

La loi et la réglementation précisent bien que les absences pour congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'adoption, les absences pour congé parental d'éducation, pour enfant malade et pour congé de présence parentale ainsi que les absences de salariés bénéficiant de dons de jours de repos au titre d'un enfant handicapé ou gravement malade doivent être assimilées à des périodes de présence effective. La prime des salariés absents du fait de ces congés ne peut être réduite à raison de cette absence.

Mais doit-on prendre en compte toute la durée du congé de reclassement du salarié lors de l’attribution d’une PEPA modulée en fonction de la durée de présence effective du salarié dans l’entreprise ?

Les faits

Dans cette affaire, un salarié, engagé en qualité d'opérateur « encapsulation » le 11 mai 2006, a été licencié pour motif économique par lettre du 1er octobre 2018. Il avait adhéré au congé de reclassement qui lui était proposé, congé d'une durée de 12 mois, préavis inclus, à l'issue duquel son contrat de travail était rompu. Concrètement, il avait continué de travailler pour l'entreprise jusqu'au 10 octobre 2018, date à laquelle il avait été placé en préavis de 2 mois dispensé par l'employeur, puis à compter du 10 décembre 2018, en congé de reclassement.

Parallèlement, son employeur avait attribué, par décision unilatérale du 28 janvier 2019, une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA millésime 2019) aux salariés liés à l'entreprise par un contrat de travail en vigueur au 31 décembre 2018. D'un montant de 800 euros pour les salaires inférieurs à 40 000 euros bruts, cette prime était modulée selon 2 critères : 

  • la durée du temps de travail prévue au contrat de travail du salarié ;
  • sa durée de présence effective dans l'entreprise : 100 % du montant pour 12 mois de présence, 80 % pour 11 mois et 0 % pour 10 mois et moins.

Remarque

attention ! La modulation du montant de la PEPA 2019 ne pouvait aboutir, pour certains salariés, à une prime exceptionnelle égale à zéro. L'employeur devait fixer un plancher minimal de versement, quel que soit le critère retenu. Certaines situations de modulation pouvaient tout de même conduire à une prime nulle. Ainsi, un salarié ne percevait pas de prime s'il n'était effectivement pas présent dans l'entreprise en 2018 ou s'il n'avait perçu aucune rémunération au titre de 2018. Aujourd'hui, pour la PPV, seul le critère de modulation en fonction de la durée de présence effective pendant l'année écoulée peut conduire à l'exclusion d'un salarié de la prime (ex. : cas du salarié absent pendant au moins les 12 mois précédant le versement de la prime, dans la mesure où cette absence n'est pas assimilée à de la présence effective). En dehors de ce cas de figure, aucune modulation ne doit conduire à une prime égale à zéro.

Considérant qu'il n'était pas présent dans l'entreprise à la date de versement de la prime, il ne l'avait pas versée au salarié en congé de reclassement qui saisit alors la justice pour demander un rappel de salaire au titre de celle-ci.

Les juges du fond estimant que le salarié était présent dans l'entreprise durant 12 mois (même s'il était dispensé de son préavis, son contrat de travail n'était pas suspendu avant le 31 décembre 2018), l'employeur est condamné par les juges du fond à verser au salarié l'intégralité de la prime. Il se pourvoit en cassation qui lui donne partiellement raison.

Pour l'attribution de la PEPA, la période du congé de reclassement correspondant au préavis est prise en compte mais pas la période excédentaire

La Cour de cassation pose deux principes :

  • si le salarié en congé de reclassement demeure salarié de l’entreprise jusqu’à l’issue de ce congé, la période de congé de reclassement n’est pas légalement assimilé à du temps de travail effectif ; 
  • puisque la dispense d’exécution du préavis par l’employeur ne doit entraîner jusqu’à l’expiration de ce délai aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçu s’il avait accompli son travail (C. trav., art. L. 1234-5), le salarié en congé de reclassement a droit au paiement de la PEPA pour la période correspondant à celle du préavis, même si la décision unilatérale de l’employeur proratise le bénéfice de cette prime au temps de présence effective dans l’entreprise.

Ainsi, la Cour distingue bien le droit au bénéfice de la prime qui dépend, en l'occurrence, de la présence ou non du salarié à la date de versement de la prime et l'application de la modulation en fonction de la durée de présence du salarié dans l'entreprise.

Remarque

à noter que, pour prétendre à la prime de partage de la valeur, un salarié doit être titulaire d'un contrat de travail en cours à la date de versement de la prime ou à la date de dépôt de l'accord ou de signature de la décision unilatérale instituant la prime.

En vertu des principes évoqués ci-avant, le salarié avait droit à une prime à 80 % au titre de l'année 2018 dans la mesure où :

  • il était encore salarié de l'entreprise au jour du versement de la prime (le 31 décembre 2018), son contrat de travail ne prenant fin qu'au terme du congé de reclassement (droit au bénéfice de la prime) ;
  • il justifiait d'une présence dans l'entreprise de 11 mois et 10 jours, son préavis prenant fin le 10 décembre (application de la modulation).

Une décision transposable à la prime de partage de la valeur (PPV)

Cette solution, prise pour le dispositif de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat 2019, a vocation à s'appliquer également à la prime de partage de la valeur. 

En effet, le montant de celle-ci peut être modulée, tout comme celui de la PEPA, en fonction de la durée de présence effective du salarié dans l'entreprise.

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