Le bénéfice net fiscal de l’entreprise constitue la base de calcul de la réserve spéciale de participation (RSP). Comme les capitaux propres, il ressort d’une attestation établie par l’inspecteur des impôts ou le commissaire aux comptes. Ces éléments ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges nés de l’application de la participation (C. trav., art. L. 3326-1, 1er).
La lecture stricte de cette interdiction légale par la Cour de cassation
La Cour de cassation a toujours fait une lecture stricte de cette interdiction légale.
Dans de nombreux arrêts, elle affirme que le montant net du bénéfice établi par cette attestation ne peut être remis en cause à l’occasion d’un litige sur le calcul de la RSP opposant le salarié, le CSE ou un syndicat, à l’employeur (Cass. soc., 11 mars 2009, n° 08-41.140 ; Cass. soc., 9 févr. 2010, n° 08-11.338 ; Cass. soc., 8 déc. 2010, n° 09-65.810), quand bien même l’action serait fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de la société (Cass. soc., 28 févr. 2018, n° 16-50.015).
Cette interdiction de contestation, même en cas de fraude, est considérée comme une règle d’ordre public absolu par la Cour de cassation. Ce n’est qu’en cas d’attestation incomplète qu’il peut en être autrement.
Remarque
rappelons que le montant de la RSP peut être recalculé seulement en cas de rectification des résultats de l'entreprise à la suite d'un contrôle fiscal (C. trav., art. L. 3326-1-1).
Cette interdiction légale n'est pas inconstitutionnelle
Dans un arrêt du 25 octobre 2023 (Cass. soc., 25 oct. 2023, n° 23-14.147), la Cour de cassation a toutefois admis l’existence d’un conflit entre cette interdiction légale et le droit à un recours juridictionnel effectif, et, de ce fait, a transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel relative à cette interdiction légale.
Remarque
rappelons que, dans cette affaire, plusieurs sociétés françaises d’un groupe international avaient signé en 2014 un accord de participation de groupe. Le groupe avait mis en place des contrats de façonnage et de commissionnaire entre les sociétés et la holding, contrats qui avaient pour conséquence, selon les IRP, de prédéterminer le bénéfice des sociétés françaises et donc de réduire l’assiette de la participation des salariés. Les IRP avaient bien tenté d’obtenir du juge judiciaire la nullité des attestations du commissaire aux comptes, a minima faute de sincérité, mais faisant une lecture habituelle de l’article L. 3326-1 précité, les juges d’appel avaient déclaré leur demande irrecevable.
Le Conseil constitutionnel a répondu à cette question dans une décision du 24 janvier 2024 (Cons. const., 24 janv. 2024, n° 2023-1077 QPC). Il a déclaré les dispositions de l’article L. 3326-1 du Code du travail conformes à la Constitution (voir notre article du 26 janvier 2024).
La Cour de cassation tire les conséquences de cette décision dans un arrêt du 12 juin 2024 : l’action des représentants du personnel dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de 2023 est irrecevable.
Peut-on contester l'attestation du commissaire aux comptes ou de l'inspecteur des impôts pour défaut de sincérité ?
La Cour de cassation en profite pour préciser la notion de sincérité attachée aux attestations du commissaire aux comptes et de l’inspecteur des impôts.
Pour les demandeurs, les juges d’appel avaient adopté des motifs généraux et abstraits en indiquant que l’insincérité des attestations ne pouvait reposer que « sur des motifs propres liés aux diligences accomplies par le commissaire aux comptes et aux obligations pesant sur lui » sans « aucunement préciser concrètement ce que signifiait » la notion de sincérité.
Pour la Cour de cassation, « l’attestation établie par le commissaire aux comptes ou par l’inspecteur des impôts pour le calcul de la RSP n’est susceptible d’être entachée d’un défaut de sincérité que lorsque le montant du bénéfice net ou des capitaux propres figurant sur cette attestation est différent de celui déclaré à l’administration fiscale pour l’établissement de l’impôt ».
Remarque
cette position n’est pas étonnante. L’auteur d'une telle attestation a pour mission d’attester que les chiffres avancés par la société dans sa demande de délivrance d’attestation correspondent aux données fiscales et/ou comptables dont il dispose. Il n’opère aucun contrôle à ce stade. En effet, le commissaire aux comptes n’a pas à certifier que les chiffres qu’il mentionne sont réguliers et sincères comme il peut le faire dans le cadre de sa mission de contrôle général des comptes sociaux. L’administration fiscale, elle, ne certifie pas que ce chiffre sera bien celui qui sera retenu comme base d’imposition puisqu’il peut faire l’objet d’une rectification donnant lieu à l’émission d’une nouvelle attestation (sur ce point, voir notre actualité du 14 juin 2024).